Humanités digitales

Quand les sciences humaines et sociales rencontrent l’informatique, cela donne les humanités digitales. Cet été, l’Université de Lausanne et l’EPFL accueillent une importante conférence internationale consacrée à ce sujet.

Les chercheurs en sciences humaines et sociales utilisent les outils informatiques depuis longtemps. Mais les progrès techniques réalisés depuis une décennie modifient la donne. Des quantités immenses de documents anciens sont désormais disponibles en ligne. Les informations qu’ils contiennent peuvent être traitées, comparées, analysées et stockées dans des bases de données. Les travaux ne s’arrêtent pas au passé. Les médias sociaux comme Twitter, qui favorisent par ailleurs les échanges entre scientifiques, représentent un terrain de recherche, tout comme les communautés virtuelles.

L’expression Digital Humanities a émergé en 2001. «L’apparition de cette notion, qui est en fait une requalification, constitue le signe qu’un mouvement de fond se produit?: une refonte complète du savoir et des frontières disciplinaires», explique Claire Clivaz, professeure assistante à l’Institut romand des sciences bibliques et local co-chair de la conférence Digital Humanities 2014 avec Frédéric Kaplan. Ce colloque aura lieu du 7 au 11 juillet à Lausanne. La multiplication des sources disponibles et des moyens de les traiter affaiblit les limites entre les domaines.

Les méthodes de travail changent également, avec la possibilité d’analyser les réseaux d’influence. «En histoire, l’étude d’une personnalité passe par celle de sa communauté de pensée et de ses contemporains, qui ont laissé des traces écrites désormais numérisées», remarque Dominique Vinck, professeur à l’Institut des sciences sociales et directeur du LADHUL, le Laboratoire de cultures et humanités digitales de l’UNIL.

Ce dernier compte plus de 50 chercheurs, actifs dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. Parmi eux, la théologie. Plus de 5800 manuscrits grecs du Nouveau Testament, de provenance très diverses, sont aujourd’hui connus. Un nombre croissant de ces textes anciens ont été transcrits par des spécialistes et rendus disponible en ligne. Les comparer entre eux ou dénicher les occurrences de certains mots devient nettement moins astreignant et ouvre des perspectives nouvelles. Au-delà, «considérer ces textes comme des documents, avoir un mode éditorial en constante révision, permet de relativiser la limite du canon et d’argumenter face à des lectures fondamentalistes», soutient Claire Clivaz.

Les projets en lien avec les humanités digitales fleurissent à l’UNIL. Comme la plateforme Lumières.Lausanne, qui met en valeur la riche histoire culturelle du pays de Vaud au XVIIIe siècle (https://lumieres.unil.ch, lire dans Allez savoir! N°55). Grâce au multimédia, le Centre de recherche sur les Lettres romandes offre aux lecteurs la possibilité de se plonger dans les versions successives des manuscrits de Ramuz. Le projet Viaticalpes, assorti d’une riche base de données iconographiques, se consacre à l’histoire culturelle du voyage en Suisse, et dans les Alpes, de la Renaissance au XIXe siècle (www.unil.ch/viaticalpes).

Les sciences «dures» y trouvent également leur compte. «Les chercheurs en informatique et en mathématiques découvrent un champ de travail intéressant: les corpus, en sciences humaines et sociales, sont souvent vastes et hétérogènes. Les données sont parfois incohérentes voire contradictoires, ce qui soulève des défis intéressants», note Dominique Vinck.

En elles-mêmes, les humanités digitales posent des questions qui restent à explorer. Il n’est ainsi pas neutre de rendre disponible le patrimoine et la culture de civilisations entières, dans un monde où des géants économiques, comme Google, se nourrissent de connaissances.
Sites utiles: www.unil.ch/ladhul, http://dh2014.org

Laisser un commentaire