Faire parler les crottes et l’eau

Un piège photographique installé en Mongolie a immortalisé cette panthère des neiges.
©DEE/UNIL

Le Dr Luca Fumagalli, responsable du Laboratoire de biologie de la conservation (LBC) à l’UNIL, est parti en Mongolie pour récolter des crottes et prélever de l’eau dans le désert de Gobi. Une tâche ardue, pleine de surprises.

«Un des buts de mon voyage était de complémenter le travail du professeur Christe et de son doctorant avec des analyses génétiques à partir de crottes collectées de façon non invasive: des crottes et de l’eau, prélevées dans le Small Gobi A (une portion du Great Gobi A)», explique le Dr Luca Fumagalli, maître d’enseignement et de recherche, privat-docent au DEE.

Les quatorze fèces ramenées dans ses valises ont déjà été analysées. Huit d’entre elles appartiennent bien à des irbis. Les autres proviennent de loups, de renards ou n’ont rien révélé. «Des rangers continuent la récolte sur place, se réjouit-il. Il s’agit d’abord d’estimer le nombre d’individus. Et ensuite d’étudier le régime alimentaire de l’animal. L’once mange-t-elle différemment si elle vit dans une zone sauvage ou plus proche de l’Homme?»

Parallèlement à ce projet, Claudio Augugliaro avait repéré des points d’eau dans la portion du désert de Gobi appelée Small Gobi A, exploitables pour des échantillonnages de ce que l’on nomme «?ADN environnemental?», un mois avant l’arrivée du spécialiste des analyses génétiques. «?Il est obligatoire de se rendre dans des coins où il n’y a ni humain ni animal domestique pour ne pas fausser les résultats?», indique le responsable du LBC. Après des heures en véhicule sur des pistes à deviner, l’équipe de biologistes de l’UNIL, guidée par un GPS, a dû se rendre à l’évidence: elle ne récolterait rien, car la saison sèche a fait disparaître toute trace d’eau dans le désert…

«Malgré les problèmes de langue, j’ai réussi à former des chercheurs de l’Université d’Oulan-Bator à la collecte d’ADN environnemental, souligne le Dr Fumagalli. Ils sont partis filtrer de l’eau dans la partie la plus grande et isolée du Gobi (Great Gobi A).» Le protocole est extrêmement précis, car toute contamination réduit à néant la tâche effectuée. «Il faut travailler avec des gants, des instruments stériles (seringue, louche, capsule etc.). Si l’on pose un pied ou un doigt dans l’eau, on contamine tout le milieu.» Des pièges-photos sont aussi déposés aux points d’eau pour comparer les données collectées.

L’ADN contenu dans les mini-mares, de 20 à 80 cm de profondeur, se fixe sur le filtre d’une capsule et un liquide de conservation permet de le préserver. Dans un monde idéal, les chercheurs mongols n’ont ensuite plus qu’à envoyer ces échantillons en Suisse. Le hic, c’est que les entreprises de transport locales peuvent refuser de livrer ces colis insolites. «La première tentative a été une faillite, déplore le Dr Fumagalli, mais les échantillons sont enfin arrivés à l’UNIL à la fin octobre 2018. Je ne sais pas combien de temps l’ADN va tenir avant de se dégrader. A ma connaissance, personne n’a jamais travaillé avec cette approche dans un milieu désertique. Les conditions environnementales très extrêmes, notamment la force des UV et les variations importantes de températures pendant la journée, peuvent très vite altérer l’ADN.?»

Le chercheur de l’UNIL voudrait démontrer que, dans un milieu hostile, il est possible, avec cette méthode, de repérer non seulement les organismes aquatiques (poissons, écrevisses, mollusques, insectes), mais aussi les animaux forcés de se regrouper dans les derniers rarissimes points d’eau afin de s’y abreuver. «Je m’attends à détecter beaucoup plus d’espèces que les pièges-photos, notamment l’ours de Gobi, une sous-espèce de l’ours brun, qui ne compte plus que 20 à 30 individus sur Terre.»

Article principal: Sur les traces de la panthère des neiges

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