Etudiant, un métier en pleine mutation

Dans l’édition de Allez savoir! de juin 1996, le journaliste Pietro Boschetti battait en brèche le cliché de l’étudiant à la vie idyllique. Seize ans plus tard, qu’est-ce qui a changé? Exercice comparatif, à l’heure de la rentrée.

«En 1983, la durée moyenne des études en Suisse jusqu’à la licence était de onze semestres. Cinq ans plus tard, cette moyenne n’a pas bougé. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, on n’a constaté aucun rallongement des études. Idem pour les étudiants «éternels» (15 semestres ou plus): leur proportion était de 12,6% de l’effectif en 1983 contre 13,3% en 1988», pouvait-on lire à l’époque dans Allez savoir! Par le passé, et notamment en Lettres, il n’existait pas de délai maximal pour décrocher une licence, même si les textes prévoyaient des sanctions en cas de non-présentations répétées aux examens.

Aujourd’hui, et pour toutes les facultés, l’UNIL limite les études de bachelor à 10 semestres, et celles de master à 5 ou 6, selon que ces dernières imposent 90 ou 120 crédits ECTS. La notion d’étudiant «éternel» devient floue: il est possible de décrocher un bachelor rapidement, et de se lancer dans un master bien plus tard dans la vie. La durée totale moyenne des cursus demeure stable: d’après une enquête publiée fin 2011 par l’UNIL, elle se monte à 6 semestres pour le bachelor, et 4 pour le master.

En 1996, Allez savoir! anticipait l’arrivée d’une nouvelle population. «[Alors] responsable du service Orientation et conseil aux étudiants de l’Université de Lausanne, Claude Roulin est bien placé pour observer les changements du public universitaire. Les personnes qui reprennent des études après une période de vie active, par exemple: “C’est difficile à mesurer, mais il n’y a aucun doute que cette population grandit, dit-il. C’est lié à la déstabilisation du monde du travail. Il y a une demande croissante de formation universitaire pour des gens qui sont dans la vie active ou qui en sortent. On est conscient qu’au cours de sa vie professionnelle, on va changer deux ou trois fois de métier. Et bénéficier d’une large formation représente un sérieux atout”. Un phénomène qu’on connaît bien aux Etats-Unis où plus de la moitié des nouveaux étudiants dans certaines universités sont des returners, des personnes qui reprennent des études après un passage par la vie professionnelle.»

Dans l’article de 1996, Bologne pointait déjà son nez: «[…] l’offre universitaire est bien mal adaptée à ces étudiants atypiques. “Accueillir correctement les returners supposerait d’importantes modifications de la culture universitaire, souligne Claude Roulin. En termes d’organisation des études, tout d’abord, avec peut-être un système de crédits permettant de faire sa licence à la carte. Il faudrait également des changements pédagogiques dans le sens d’une “déscolarisation” de l’enseignement. Et puis, l’horaire devrait être revu de façon à ce que les gens qui travaillent pendant la journée puissent étudier le soir.” Bref, une petite révolution.»

Depuis septembre 2010, l’UNIL permet de suivre un master à temps partiel: l’an passé, 57 personnes se sont inscrites dans un cursus de ce genre. Des aménagements sont possibles pour le bachelor, mais pas dans toutes les facultés. L’admission sur dossier, autorisée depuis le début du XXIe siècle, attire également un public plus âgé.

Après le temps, l’argent. Alors secrétaire politique de l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES), Michel Cambrosio estimait en 1996 que «les contingences d’aujourd’hui sont d’une autre intensité que dans les années 80. “La situation typique est celle de la double dépendance financière à l’égard des parents et au fait de trouver un job. Une enquête de 1993 montrait que si les trois quarts des étudiants à Lausanne avaient une activité lucrative, les deux tiers dépendaient malgré tout de l’aide financière de leurs parents”.»

La situation n’a pas évolué depuis: selon l’Office fédéral de la statistique (chiffres 2009), 75% des étudiants exercent aujourd’hui une activité rémunérée parallèlement à leur cursus. 90% d’entre eux bénéficient d’un soutien de leur parenté. Cette dernière fournit, en moyenne, plus de la moitié de leurs ressources.

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