Droit dans ses «bots»

David Spring, rédaction en chef

Bien souvent, le monde juridique se voit reprocher d’être à la traîne des progrès technologiques. Dans ce numéro d’Allez savoir!, c’est au contraire un avocat qui devance les droïdes. Chargé de cours à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique, Sylvain Métille plaide pour la création d’un véritable cadre juridique pour les robots (lire l’article). Les questions qu’il soulève, notamment l’idée d’attribuer, dans certains cas, une responsabilité limitée à des machines, donnent à réfléchir.

Des algorithmes qui passent des millions d’ordres chaque seconde sur les marchés financiers aux drones de plus en plus autonomes, en passant par l’automatisation croissante du travail, les voitures sans conducteurs et par de nombreux jouets aussi mignons qu’anthropomorphes, les robots font partie de la vie. Nous avons bien souvent délégué notre mémoire, notre agenda et l’optimisation de nos trajets à un smartphone, qui nous rappelle quoi faire, et quand. Si la plupart de ces engins ne sont pas plus malins qu’une émission de téléréalité, d’autres possèdent la capacité de décider ou d’apprendre. En cas de problème, qui est responsable ? Qui paie la casse ? Les possesseurs, les fabricants, les informaticiens ? Sylvain Métille souhaite que l’on commence à légiférer sur ce qui est acceptable – ou non – dans le développement technologique.

Couverture d’après Ed Emshwiller pour Plus besoin d’hommes de Clifford D. Simak. Galaxie science fiction n° 17, avril 1955. Des robots s’avancent dans un tribunal, sous le regard médusé du public.
© Coll. Maison d’Ailleurs / Agence Martienne

Il y a plus d’un demi-siècle, un écrivain a eu quelques intuitions à ce sujet. Dans la nouvelle How-2 (Plus besoin d’hommes, en VF), parue en 1954, Clifford Simak met en scène une Amérique dans laquelle les machines font tout le boulot à la place des humains, réduisant ainsi la semaine de travail à 15 heures. Alors qu’il attendait un chien-cyborg par la poste, Gordon Knight reçoit par erreur le prototype «Albert», un robot indépendant. Ce dernier commence à prendre en main la vie de la maison, et surtout à créer en cascade d’autres «bots», aussi intelligents que leur «père». Quand l’humain, sous la contrainte du fisc, cherche à vendre ces belles pièces, Albert se révolte. Pour assurer sa défense, ce dernier se bâtit une armée d’avocats électroniques, qui vont plaider – et gagner – leur cause au tribunal. Le jugement confère aux robots les mêmes droits et devoirs qu’aux Hommes.

Dans les années 50, la nouvelle pouvait être lue comme une métaphore de la conquête des droits civiques par les Afro-Américains ou comme une satire de la foi aveugle en la technologie. Aujourd’hui, nous nous soucions plutôt de l’autonomie des machines, de la crainte – et non de l’espoir – qu’elles nous remplacent dans le monde du travail, ou, pour les plus imaginatifs, d’une forme révolutionnaire d’antispécisme que des androïdes dotés d’émotions pourraient susciter. Formes vides, les robots aiment à se remplir des rêves et des cauchemars humains.

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