Ces adjuvants qui boostent les vaccins

© Alexander Raths - Fotolia.com
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Les vaccins contre la grippe seront bientôt disponibles en pharmacie. A cette occasion, comme chaque année, resurgiront les polémiques sur les vaccins et les supposés risques des adjuvants qu’ils renferment. Que sont ces substances et sont-elles réellement dangereuses? Tour d’horizon avec Nicolas Collin, microbiologiste et spécialiste de la question.

Ils sont souvent pointés du doigt. Les adjuvants présents dans les vaccins sont périodiquement accusés d’être responsables de maux divers. Des assertions «largement infondées scientifiquement», affirme Nicolas Collin, directeur du laboratoire de formulation vaccinale du département de biochimie de l’UNIL.

Adjuvant. Le mot paraît savant, mais si l’on revient à l’étymologie, il dérive du latin adjuvare qui signifie simplement aider, assister. C’est en effet bien de cela qu’il s’agit dans le domaine de la vaccinologie. Ces substances renforcent le pouvoir de certains vaccins et augmentent ainsi leur efficacité qui, sinon, serait faible voire quasi nulle. Avec à la clé une baisse des coûts et une accessibilité accrue des vaccins pour les pays en développement. Le rôle d’un vaccin prophylactique est en effet de stimuler le système immunitaire pour qu’il soit capable de lutter contre l’intrusion dans l’organisme d’un microbe (virus, bactérie ou parasite). A cette fin, on peut utiliser le micro-organisme en question entier vivant (mais avec une activité atténuée) ou totalement inactivé. On peut aussi, comme cela se fait dans les vaccins modernes, n’employer que quelques-uns de ses fragments – «une partie de son enveloppe, des sucres, des protéines, de l’ADN, etc.», précise Nicolas Collin.

A ce principe actif qui est au coeur du pouvoir vaccinal,  on peut ajouter divers produits comme des conservateurs, des stabilisateurs, des excipients, des sels et quelques autres. Et souvent, donc, des adjuvants. L’histoire des adjuvants ne date pas d’hier. Dans les années 20, le vétérinaire et biologiste français Gaston Ramon découvre que l’ajout de pus à la toxine de la diphtérie améliore l’immunisation des chevaux contre cette maladie et il conceptualise la notion d’adjuvant. Les scientifiques «essaient alors de trouver des substances capables de transformer un mauvais vaccin en un bon et ils testent de nombreux produits présents dans leur cuisine: huile, sucre, etc.», ainsi que les sels d’aluminium qui sont restés, depuis 1925, les adjuvants les plus utilisés en médecine humaine.

Mais il a fallu attendre 1997 pour que Novartis commercialise le premier adjuvant «moderne», qui est fait à partir d’une émulsion de type huile dans l’eau. Ce qui fait dire à Nicolas Collin que «le développement des adjuvants est l’un des procédés les plus fastidieux de l’histoire de la médecine».

Des vaccins moins coûteux

Depuis, quelques autres adjuvants sont apparus sur le marché et l’on a découvert que ces substances avaient de multiples rôles. «C’est l’un des paradoxes des temps modernes: les vaccins les plus récents, qui sont produits à partir de fragments de micro-organismes, ont une immunogénicité – c’est-à-dire un pouvoir de susciter des réponses immunitaires – de plus en plus faible.»

Ils doivent donc renfermer de grandes quantités de principe actif. «Si ce dernier est cher, comme c’est le cas pour les vaccins contre la grippe H5N1 ou la rage, les adjuvants permettent d’en utiliser moins pour des résultats analogues. Et donc d’abaisser les coûts.

Autre avantage, les adjuvants permettent aux vaccins d’offrir une immunogénicité plus large. «De nombreux agents infectieux, comme le virus du sida, mutent facilement. L’adjuvant a le potentiel d’ouvrir le spectre des réponses immunitaires qui peuvent lutter contre des souches différentes.» Il permet aussi, dans le cas de la grippe par exemple, d’accroître l’efficacité du vaccin chez des personnes ayant un système immunitaire moins performant, comme les enfants ou les personnes âgées.

Globalement, conclut le microbiologiste, «l’adjuvant améliore la qualité de la réponse vaccinale et, en plus, il offre une protection plus rapide et qui dure plus longtemps». Le mode d’action de ces produits «n’est pas totalement élucidé et fait l’objet d’intenses recherches de la part des immunologistes et des biologistes», constate Nicolas Collin. On sait toutefois que «les adjuvants historiques (comme les sels d’aluminium et les émulsions du type huileux) améliorent la présentation du principe actif au système immunitaire, explique le chercheur de l’UNIL. En outre, ils provoquent une légère inflammation locale qui a pour effet de stimuler le système immunitaire. Quant aux plus modernes, ce sont des immunostimulants qui activent directement les cellules immunitaires.» Certains adjuvants jouent d’ailleurs sur les deux tableaux.

Toutefois, les adjuvants ne sont pas obligatoires. De nombreux vaccins en sont d’ailleurs dépourvus, comme les préparations protégeant contre la grippe saisonnière (hormis celles destinées aux personnes âgées), la rougeole, la rubéole et autres maladies de type aiguës.

Il en va autrement des pathologies chroniques comme le sida, l’herpès ou les maladies tropicales comme la leishmaniose. Dans ces cas, les agents infectieux sont plus futés. Ils circulent peu dans le sang et se cachent surtout dans les cellules. Pour les détruire, il faut donc «biaiser le système immunitaire», dit le microbiologiste. Réorienter son action pour faire en sorte qu’en plus de produire des anticorps (qui luttent contre les pathogènes présents dans le sang), il s’attaque aussi aux cellules infectées. Ce que seul un adjuvant permet de faire.

Nicolas Collin. Directeur du laboratoire de formulation vaccinale du département de biochimie de l'UNIL. Nicole Chuard © UNIL
Nicolas Collin. Directeur du laboratoire de formulation vaccinale du département de biochimie de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

Eradiquer la polio

Le cas de la poliomyélite offre un exemple intéressant du rôle des adjuvants. Il existe depuis de nombreuses années un vaccin oral, sans adjuvant, contre la maladie – l’OPV (Oral Polio Vaccine) – qui a fait ses preuves puisque, grâce à lui, la polio a été quasiment éradiquée. Sur ce front, quelques résultats encourageants ont même été constatés récemment. «L’Inde, qui était une zone critique, a annoncé en février dernier qu’elle n’avait enregistré aucun nouveau cas au cours de l’année précédente.»

La bataille n’est toutefois pas encore gagnée, car la pathologie «résiste dans quelques foyers au Pakistan, en Afghanistan et au Nigeria. La situation reste fragile et il faut utiliser un nouveau vaccin.»
Car l’OPV renferme le virus entier vivant et, même si celui-ci est atténué, il pourrait conduire à une résurgence de cette maladie qui pourrait devenir virulente et se répandre à nouveau. «Ce vaccin est donc inadapté dans le cadre d’un effort d’éradication», souligne le chercheur de l’UNIL qui a travaillé précédemment à l’OMS.

La stratégie choisie consiste à remplacer l’OPV par l’IPV (Inactivated Polio Vaccine) qui, comme son nom l’indique, renferme un virus totalement inactivé. Ce vaccin est d’ailleurs déjà disponible et il a notamment été utilisé en Scandinavie. «Le problème est qu’il est cher et donc inaccessible aux pays qui en ont besoin. Pour diminuer son coût, une solution est de rajouter un adjuvant.»

C’est à cette tâche que s’est attelé le laboratoire de formulation vaccinale. Dans le cadre d’un mandat que lui a confié le Wellcome Trust, un prestigieux fonds caritatif britannique, puis, plus récemment, avec le soutien de la Fondation Gates, Nicolas Collin et son équipe ont testé un adjuvant de type huile dans l’eau existant sur le marché. «Nous avons montré que cette émulsion était compatible avec l’IPV.»

Les adjuvants sous le feu de la critique

C’est là une nouvelle preuve – s’il en fallait une – des apports des adjuvants à la vaccinologie. Pourtant, ces substances ont mauvaise presse. Les sels d’aluminium ont, par exemple, été accusés de provoquer la myofasciite à macrophages (infiltration de macrophages dans le tissu musculaire qui provoque une fatigue chronique, ainsi que des troubles physiques et neurocognitifs). Quant au squalène, utilisé dans certains vaccins antigrippaux, il serait, dit-on, à l’origine des problèmes de santé des anciens combattants de la guerre du Golfe. Des critiques que Nicolas Collin récuse avec force, en rappelant que les sels d’aluminium «ont été utilisés dans des vaccins (diphtérie, tétanos, coqueluche, polio) administrés à des milliards de personnes sans provoquer de problèmes».

Les adjuvants peuvent causer «dans de rares cas, des phénomènes inflammatoires, des douleurs et des rougeurs», admet le scientifique qui rappelle que «toutes les molécules actives ont des effets secondaires qui dépendent de la dose administrée et des personnes traitées».

Reste que , en matière de vaccination, «il est difficile, sinon impossible, d’évaluer les risques. Tout ce qui arrive à quelqu’un que l’on a vacciné est souvent considéré comme étant la faute du vaccin.»
Le problème vient du fait que les vaccins prophylactiques sont administrés à des personnes saines. En revanche, lorsque qu’un vaccin est utilisé à des fins thérapeutiques, comme dans le traitement d’un cancer, «les gens sont prêts à admettre d’avoir plus d’effets secondaires. La clé de voûte de l’acceptabilité est l’évaluation du rapport risques/bénéfices.»

«Il faut lutter contre les rumeurs et les fausses informations qui ont des conséquences importantes pour la santé publique», affirme Nicolas Collin en soulignant que l’on a «beaucoup plus de risques d’attraper une forme sévère de grippe que de souffrir d’un effet secondaire du vaccin». Et le chercheur de conclure que «les comportements changeront lorsque des maladies infectieuses graves vont à nouveau frapper».

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