Bonheurs et malheurs du guide de voyage

Non, ne faites pas la moue! Les guides de voyage sont un sujet passionnant. D’autant qu’ils sont très divers et parfois contestés. Georges Sand, par exemple, les adorait alors que Roland Barthes, dans un fameux essai sur le Guide bleu paru en 1957, n’y voyait qu’un «instrument d’aveuglement».

Pour marquer les 20 ans de l’Association culturelle pour le voyage en Suisse, Ariane Devanthéry, historienne de la culture et docteure ès lettres de l’Université de Lausanne, et Claude Reichler, professeur honoraire de l’UNIL, ont demandé à vingt-six auteurs – écrivains, voyageurs, photographes, concepteurs de guide et chercheurs universitaires – d’évoquer librement ce thème. Joliment mis en page et agréablement illustrés, leurs textes sont réunis dans un petit ouvrage publié chez Slatkine. Au menu de Vaut le voyage? Histoires de guides, cinq parties où picorer à sa guise.

Dans la section «Tourisme noir», le lecteur s’interroge avec Laurent Tissot sur la manière de «présenter l’imprésentable: les camps d’Auschwitz-Birkenau». L’auteur y souligne comment l’évocation de ces terribles lieux a évolué avec le temps et analyse les stratégies adoptées par différents guides lorsqu’il s’agit d’évoquer l’horreur. Moins dramatique, Emmanuelle Petit s’intéresse à la manière dont la sépulture d’Edward Whymper, vainqueur du Cervin et auteur du premier guide d’alpinisme consacré à Chamonix, a connu au gré des éditions des Guides bleus des emplacements divers. La preuve qu’un «guide peut colporter des informations erronées, même s’il prend, comme les Guides bleus, la précaution de faire appel à des universitaires».

Pour ou contre les guides? La question divise par ailleurs nos auteurs. L’écrivain Eugène, plutôt pour, examine les avantages et les inconvénients d’écrire un «faux-vrai guide». Blaise Hofmann, l’un des deux librettistes de la Fête des Vignerons 2019, voue le genre aux gémonies et préconise pour le remplacer d’autres «guides» comme la lenteur, la solitude, la panne ou l’instinct. Parler voyages en Suisse sans évoquer Ella Maillart semble impossible. L’occasion de rappeler que ses textes et ses photographies furent «des sources d’inspiration inépuisables pour les aventuriers contemporains». Bref, de quoi constater, avec Ariane Devanthéry, que «même un type d’écrit aussi formaté, cadré, limité et limitant que celui des guides de voyage peut favoriser des pensées déliées et libres, et être source de création buissonnière». / Mireille Descombes

Vaut le voyage? Histoires de guides. Edité et présenté par Ariane Devanthéry et Claude Reichler. Slatkine (2019), 272 p.

Dans cet ouvrage collectif, nos choix résidentiels, nos modes de déplacement et notre consommation d’énergie sont étudiés de manière fine, sous l’angle de l’urbanisme. Grâce à de nombreux schémas et tableaux issus de la recherche, c’est un véritable portrait de nos modes de vie, en Suisse et en Europe, qui est présenté. Ces derniers, très divers, ont évidemment un grand impact sur les politiques publiques. À noter que ce livre bien illustré, à la mise en page soignée, existe également sous forme numérique augmentée. DS

L’urbanisme par les modes de vie. Sous la dir. de Vincent Kaufmann et Emmanuel Ravalet. MétisPresses (2019), 284 p.

Linguiste et maître d’enseignement et de recherche en Faculté des lettres, Stéphanie Pahud a composé un ouvrage sur le thème du corps, saisi sous différents angles. Bardé de citations d’auteurs (poètes, romanciers, chercheurs, etc.), enrichi d’interviews, de photographies et de nouvelles, le texte traverse des sujets comme l’anorexie ou le tatouage. Frédéric Beigbeder et David Foenkinos interviennent également dans ce livre atypique, au ton très libre – l’expression gang-bang surgit déjà à la page 9 – qui invite à s’emparer du corps de manière moins utilitariste. DS

Chairissons-nous! Par Stéphanie Pahud. Favre (2019), 217 p.

Il y a Guillaume, Walter, le bailli Gessler, une arbalète, une pomme, un couvre-chef à saluer… Ces éléments nous sont familiers. Mais à ces derniers s’ajoute une mystérieuse Reine de Cœur du Val des ombres, une sorcière que l’on dit capable de ramener les morts parmi les vivants. Toutefois, l’utilisation d’un tel pouvoir a un prix exorbitant pour la personne qui souhaite y recourir. Gaël Grobéty livre ici son premier roman. Diplômé de l’UNIL et collaborateur de l’institution, il recourt à une narration tout à fait originale pour conter une (ou plusieurs?) histoires pleines de rebondissements. DS

La Reine de Cœur. Par Gaël Grobéty. Éditions cousu mouche (2019), 202 p.

Issu d’une thèse soutenue à l’UNIL en 2017, cet ouvrage traite de la réduction de la biodiversité provoquée par l’agriculture industrielle. Comme l’explique Claudio Brenni, il s’agit d’une mauvaise nouvelle, car c’est de cette richesse génétique menacée que proviennent les apports nécessaires à l’amélioration des plantes cultivées, sur les plans de leur résistance et de leur productivité. L‘auteur se penche en détail sur le rôle d’acteurs locaux, comme les peuples autochtones ou les organisations paysannes, dans la conservation de l’agrobiodiversité au niveau international. DS

Souveraineté alimentaire et semences. Par Claudio Brenni.
Éditions Alphil (2019), 454 p.

L’humain vise une techno-existence longue et facile. Bacon, déjà, condamnait nos malheurs et même la mort. Le christianisme médiéval misait tout sur l’Homme, à l’image d’un Créateur extérieur à sa Création. Le pape François a mis en avant, lui, la dignité particulière des êtres humains mais sur fond d’égalité et de fraternité avec toutes les créatures. Car la planète surexploitée est menacée par-delà la notion de «risque» et la croissance désormais accentue les inégalités, le chaos social s’ajoutant aux désastres dits naturels. Magistral portrait de la modernité et de la manière de la surmonter. NR

Une nouvelle Terre. Par Dominique Bourg. Éditions Desclée de Brouwer (2019), 235 p.

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