50% des Suisses changent de parti politique

Mouvement. Plus les citoyens s’intéressent à la politique, plus leur orientation politique peut changer au cours du temps. © Rudolf Vlcek / Getty Images
Mouvement. Plus les citoyens s’intéressent à la politique, plus leur orientation politique peut changer au cours du temps.
© Rudolf Vlcek / Getty Images

Selon la thèse encore inédite d’Ursina Kuhn, une chercheuse basée à l’UNIL, les électeurs suisses se révèlent bien plus volatils qu’on l’imagine. Plongée inédite dans l’intimité électorale des familles helvètes.

Qui vote pour quel parti? Est-ce qu’on change souvent de formation politique préférée durant sa vie? Et qui influence qui, dans la famille, lors d’une campagne électorale? Autant de questions auxquelles il est habituellement impossible de répondre, puisque le vote est secret. C’est pourtant le sujet qu’a empoigné Ursina Kuhn dans sa thèse de doctorat. Et la chercheuse de la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales (FORS), basée à l’UNIL, a pu apporter des réponses grâce au Panel suisse des ménages.

«Avec cette enquête, nous touchons un échantillonnage d’environ 10000 personnes en Suisse. Plus précisément, la recherche porte sur toutes les personnes (2 en moyenne) qui vivent dans 5000 ménages sélectionnés pour être régulièrement interrogés. Chaque année, nous leur demandons pour quel parti ils voteraient s’il y avait des élections le lendemain. Et nous leur posons encore des questions plus générales, du genre: “Etes-vous pour ou contre une adhésion à l’Union européenne? Pensez-vous que les Suisses devraient avoir de meilleures chances que les étrangers? Les riches doivent-ils payer plus d’impôts? Faut-il augmenter les dépenses sociales?” Etc.»

Un résultat très surprenant
Comme ces questions ont été posées depuis 1999 aux pionniers de cette expérience, ainsi qu’à un deuxième échantillon de citoyens ajouté en 2004, ce panel très représentatif permet d’observer l’évolution dans le temps des préférences électorales des Suisses. Cette recherche (dont les conclusions restent peu connues, puisqu’Ursina Kuhn n’a pas encore publié sa thèse) a donné plusieurs résultats très inattendus. On y apprend notamment que 1 Suisse sur 2 (50,4%) a modifié ses préférences politiques au moins une fois, durant les 11 années analysées. «C’était une surprise, commente la chercheuse, parce qu’on s’attendait à ce que les gens soient plus stables dans leurs choix politiques. Et parce que les résultats des élections suisses ne montrent pas des changements aussi importants.»

Mais voilà, le résultat global d’une élection nationale ne traduit pas forcément l’ampleur des évolutions individuelles. «S’il y a autant d’électeurs qui passent des radicaux à l’UDC que de citoyens qui quittent l’UDC pour le Parti radical, ces mouvements vont passer inaperçus, même s’ils sont très nombreux.» Et puis, il y a changement et changement. Quitter les Verts pour les socialistes ne constitue pas un virage aussi radical que de passer de l’extrême gauche à la droite nationaliste. C’est pourquoi la chercheuse a différencié les électeurs qui changeaient de parti et ceux qui changent de camp. «En Suisse, j’ai défini trois grands blocs: la gauche (où l’on compte les Verts, les socialistes et l’extrême gauche), le centre droit (les radicaux et les démocrates-chrétiens), et enfin la droite conservatrice (UDC, Lega…).»

Les électeurs de gauche participent plus aux enquêtes électorales
Cette nuance apportée, le constat demeure. Si les Suisses changent moins souvent de camp politique que de parti préféré, ces mouvements restent beaucoup plus significatifs qu’on l’imaginait. Car Ursina Kuhn a observé que «1 Suisse sur 3, 32% pour être précis, change de bloc. Cela reste un chiffre très élevé.»

L’ampleur du phénomène interroge. Peut-on vraiment se fier à ces informations récoltées par sondage? Ursina Kuhn en est persuadée, notamment parce que les résultats observés en Suisse sont comparables à ceux qui ont été enregistrés en Allemagne et en Angleterre dans des enquêtes similaires. Ajoutons à cela que les chiffres du Panel des ménages ne sont pas pondérés selon l’orientation politique comme on le fait parfois pour prendre en compte le fait que certains électeurs ne sont pas forcément transparents à propos de leurs votes, quand ils portent par exemple sur l’UDC ou le Rassemblement Bleu Marine en France.

«Pour mon étude, je cherchais surtout à savoir si les personnes interrogées étaient capables de changer de parti, explique Ursina Kuhn. On fait en revanche des pondérations dans les enquêtes qui cherchent à estimer des intentions de vote pour les différents partis, parce qu’on sait que les gens qui votent plus à gauche y participent davantage. Pas seulement que les gens ne confient pas volontiers qu’ils votent pour l’UDC, par exemple, mais parce que l’on a toujours observé une surreprésentation de gens stables et plutôt de gauche dans ce genre d’enquêtes.»

Ursina Kuhn. Chercheuse à la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales. Nicole Chuard © UNIL
Ursina Kuhn. Chercheuse à la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales.
Nicole Chuard © UNIL

Moins on est informé, moins on change de parti
Grâce au Panel des ménages, la chercheuse est encore en mesure d’esquisser le profil de ces électeurs volatils. «C’est un peu tout le monde, mais surtout les personnes qui s’intéressent à la chose publique», assure Ursina Kuhn, qui a en effet découvert que «plus les gens sont intéressés à la politique, plus ils changent de parti. C’est plutôt une bonne nouvelle pour notre système démocratique: cela prouve que les citoyens sont attentifs aux campagnes électorales et qu’ils réagissent à la performance des acteurs politiques. A l’inverse, les personnes les moins informées sont aussi celles qui changent le moins de parti.»

Parmi les habitués du changement, on trouve encore, logiquement, les plus jeunes électeurs. «Dans l’hypothèse traditionnelle, on imaginait que les enfants héritent souvent des idées de leurs parents, avant de grandir, de faire leurs expériences, et, une fois qu’ils ont trouvé leur orientation politique, de se fixer.» Un scénario qu’Ursina Kuhn a dû réécrire à la lumière des résultats enregistrés dans le Panel des ménages. «Si les Suisses optent plus souvent pour un autre parti jusqu’à l’âge de 30 ans, ils continuent à changer durant toute leur vie. Même si le nombre de ces passages diminue, ils restent quand même considérables.»

Le couple à l’épreuve des élections
Comment expliquer ces variations de la sensibilité politique des Suisses? On pense notamment à l’influence des proches, un paramètre qu’Ursina Kuhn a pu mesurer. «Si mon partenaire partage les mêmes opinions que moi, l’effet de stabilisation est très fort», note la chercheuse. En clair, si je suis radical et que j’épouse une radicale, je vais probablement rester radical à vie.

Il en va tout autrement dans les couples qui ne partagent pas les mêmes idées politiques. «Si j’ai un partenaire qui a une autre préférence que la mienne, mon risque de changer de bloc politique double, note Ursina Kuhn. Car plus les gens restent ensemble, plus proches ils se sentent, et plus ils votent pareil.»

Est-ce bien le mari qui infléchit les votes de sa femme, comme on l’imagine à la lumière d’un vieux cliché sexiste, ou l’inverse est-il aussi imaginable? «Le mari influence davantage sa femme, mais dans des proportions qui ne sont pas spectaculaires. Comme ce n’est plus le cas chez les jeunes, il faut peut-être y voir un effet de génération, estime la chercheuse. En revanche, j’ai vu que les femmes qui restent à la maison sont davantage influencées que celles qui travaillent. Et que les mères sont les plus influencées, que ce soit par leur époux, ou, plus surprenant, par les enfants.»

Car les parents ne sont pas les seuls à peser sur les votes de leur entourage immédiat. «L’enquête montre que, quand les parents et les enfants ne sont pas d’accord, les parents ont un grand risque de changer de parti. Ce qui est intéressant, parce que je ne m’attendais pas à ce résultat.» Encore faut-il, pour cela, que l’on parle de politique autour de la table familiale. Car, précise la chercheuse de FORS, «plus un ménage évoque la chose publique, et plus on observe l’influence des enfants sur les parents».

Sans oublier l’influence des enfants sur les enfants. «J’ai été étonnée de découvrir que, dans les familles, l’influence entre frère et sœur est presque plus forte que l’influence des parents sur leur progéniture. Du coup, je me suis demandé pourquoi, en politique, on cible souvent les personnes plus âgées. Certes, les seniors sont une majorité et ils participent avec assiduité aux différents scrutins, mais un jeune est plus ouvert, donc plus facile à convaincre, et il exerce une influence claire sur son environnement proche.»

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