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Attraper froid : un mythe tenace

Autrice : Céline Rosat

Chaque année lorsque l’hiver pointe le bout de son nez, on se réjouit de la neige, du ski et des fêtes de fin d’année. La magie de Noël brille dans les yeux des enfants. Les arbres se mettent à nu et les flocons qui recouvrent le sol plongent le monde dans une atmosphère calme et silencieuse. Dans cet univers idyllique, un bruit éclate soudain. C’est un cri dénué de colère ou de peur qui résonne entre les bâtisses. Un bruit bref, puissant, qui sort du nez et de la bouche : un éternuement. Eh oui, l’hiver c’est aussi le rhume, la toux et la grippe. Alors nous, pauvres mortels, nous blâmons sans scrupule le froid. Nous le chassons de nos maisons en mettant le chauffage à fond et nous nous emmitouflons sous plusieurs couches d’habits, pour l’empêcher à tout prix de nous transmettre quelque maladie. Mais si par malheur notre santé flanche tout de même, nous nous justifions auprès de nos pairs : « Non non c’est pas le covid, j’ai juste attrapé froid ». Alors aujourd’hui, rétablissons la justice, excusons-nous auprès des températures que l’on blâme sans vergogne, car non, on ne peut pas « attraper froid ».

En réalité, ceux que l’on devrait blâmer pour nos rhumes et nos toux, ce sont les virus. Si on vivait dans une salle totalement stérilisée et glaciale, on ne tomberait pas malade. Certes cela serait désagréable et nous risquerions l’hypothermie si les températures étaient extrêmes, mais on n’attraperait pas de rhume ou de grippe. Notre nez pourrait couler un peu, mais aussitôt réchauffés, nous retrouverions notre état de santé initial. Nous ne nous réveillerions pas le lendemain, enrhumé et fiévreux. Pour prouver cette théorie, un groupe de chercheurs des Etats-Unis a infecté quelques volontaires avec un virus du rhume. Les sujets se trouvaient soit dans une salle maintenue à 4°C soit dans un bain à 32°C à plusieurs stades de l’expérience (exposition au virus, incubation, au moment des symptômes les plus présents et durant la guérison). Aucune différence significative n’a été mesurée entre ces deux groupes. 

Il reste pourtant un problème qui dérange nos chers scientifiques. 

Effectivement vous l’aurez remarqué, on tombe plus souvent malade en hiver qu’en été. Pourquoi ? Plusieurs théories ont été avancées, mais aucune d’elles n’a véritablement été prouvée. En voilà quelques-unes : 

Si le covid a éduqué la population sur une chose, c’est que les virus, ça se transmet par la proximité. Or, lorsque le froid nous frappe, nous avons tendance à nous enfermer dans les maisons et les bâtiments et à ne surtout pas ouvrir les fenêtres pour ne pas risquer le courant d’air. Ainsi regroupés et respirant le même air nous favorisons la transmission des virus. Cette explication, bien que logique, ne peut expliquer à elle seule les maladies hivernales. Effectivement, nous prenons toute l’année les transports en communs (pas plus aérés en été qu’en hiver), nous allons toute l’année en boîte de nuit (si ce n’est plus en été) et les enfants s’enferment toute l’année dans les mêmes salles de classe. 

Une autre théorie propose que les changements violents de température déstabiliseraient le système immunitaire. Puisque nous surchauffons nos maisons en hiver puis que nous nous heurtons soudainement au froid du monde extérieur, nous participerions à affaiblir nos défenses. Bien qu’intéressante, cette théorie n’a pas été validée empiriquement. Il a néanmoins été observé que les virus survivaient en général plus longtemps dans le froid, plus précisément dans les températures avoisinant les 4°C. Si les virus survivent plus longtemps dans l’air ou sur les barres de métro, nous avons plus de chance d’entrer en contact avec eux et risquons donc plus d’être infectés.  

Enfin, la dernière théorie présentée ici s’est trouvé un nouveau bouc-émissaire : l’air sec. En hiver, l’air est plus sec, ce qui entraînerait plusieurs choses. Tout d’abord, les virus se déplaceraient plus facilement dans une atmosphère sèche et seraient plus virulents. Ensuite, le froid et le sec irriteraient la muqueuse nasale, la rendant moins efficace dans son rôle protecteur et ce qu’on porte un bonnet et des gants ou qu’on se balade en sous-vêtements. 

Pour conclure, il est légitime de penser que l’hiver vient avec son lot de maladies, mais cessons de blâmer le froid pour nos moindres maux. Si vous avez un rhume, sachez que celui-ci provient d’un virus qui se développe joyeusement dans votre nez. Au risque de paraphraser le Conseil fédéral, lavez-vous bien les mains et évitez d’embrasser vos grands-parents. Soignez-vous aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire. 

Sources :

Fraenkel, D J, P G Bardin, G Sanderson, F Lampe, S L Johnston, et S T Holgate. « Immunohistochemical analysis of nasal biopsies during rhinovirus experimental colds. » American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine 150, no 4 (octobre 1994): 1130-36. https://doi.org/10.1164/ajrccm.150.4.7921447.

Franceinfo. « Peut-on vraiment attraper froid ? », 4 novembre 2016. https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/grippe/peut-on-vraiment- attraper-froid_1905189.html.

Douglas, R. Gordon, Keith M. Lindgren, et Robert B. Couch.
« Exposure to Cold Environment and Rhinovirus Common Cold ». New England Journal of Medicine 279, no 14 (3 octobre 1968): 742-47. https://doi.org/10.1056/NEJM196810032791404.

LOUIS DE MONTES. (12 octobre 2020). Non, on ne peut pas « attraper froid ». Top santé. https://www.topsante.com/medecine/votre- sante-vous/sante-pratique/attraper-froid-explication-638890

Peut-on vraiment attraper froid ? (27 avril 2020). Sciences Mag. https://www.sciences-mag.fr/2020/04/peut-on-vraiment-attraper- froid/

GENEVIEVE ANDRIANALY. (17 Février 2021).

https://www.femmeactuelle.fr/sante/news-sante/peut-on-vraiment- attraper-froid-michel-cymes-repond-2108669

Lien de l’image :
« bottes-neige.jpg (640×427) ». Consulté le 5 avril 2022. https://les- baroudeurs-savoyards.fr/wp-content/uploads/2018/11/bottes- neige.jpg.

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Protections hygiéniques gratuites dans les écoles et à l’UNIL

Autrice: Céline Rosat

 

Le 9 mars 2021, le Grand Conseil vaudois a accepté le postulat Thalmann visant à mettre à disposition gratuitement des protections hygiéniques dans les écoles. 

 L’OMS et l’UNICEF estiment qu’au moins 500 millions de personnes dans le monde vivent dans la précarité menstruelle. Dans les milieux où les tabous autour des menstruations sont très présents, certaines jeunes filles ont leurs règles pour la première fois sans même comprendre ce qui leur arrive. En Suisse, il existe certaines femmes (et tout autre personne ayant des menstruations) dont le budget est si serré qu’elles doivent parfois choisir entre se nourrir convenablement ou acheter des protections hygiéniques. Un grand nombre d’entre elles se voient obligées de garder leurs protections plus longtemps que recommandé, s’exposant ainsi à des risques d’infections comme le choc toxique. Ce dernier est une maladie infectieuse rare due à une bactérie qui se développe dans le sang accumulé dans les tampons ou les cups1. Les premiers symptômes ressemblent à ceux de la grippe, puis on observe une tension artérielle très basse, une accélération du rythme cardiaque et des signes de confusion. Si l’infection n’est pas traitée immédiatement, les patientes peuvent devoir subir une amputation et risquent même la mort. 

Il n’existe aucune étude en Suisse quant à la proportion de femmes touchées par la précarité menstruelle, mais une recherche rapporte qu’en Ecosse, près d’une femme sur cinq s’est déjà vue dans l’impossibilité financière de se procurer des protections hygiéniques en quantité suffisante. Les sans-abris, les détenues et les étudiantes seraient les plus touchées. 

Plus grand que le canton 

La Suisse est loin d’être le premier pays à se soucier de la précarité menstruelle. En effet, l’écossaise Monica Lennon fait campagne depuis 2016 pour la distribution gratuite de produits hygiéniques dans tous les bâtiments publics. En novembre 2020, le projet de loi Period Products (Free Provision) (Scotland) Bill a été approuvé par le Parlement écossais, réalisant ainsi les demandes de la militante. 

Dans le même sens, le Canada, l’Angleterre et la Colombie ont déjà instauré un projet de loi visant à la disposition gratuite de produits hygiéniques dans les écoles et les universités. De leur côté, l’Australie, l’Inde, la Tanzanie, le Nicaragua, le Kenya, le Liban et le Nigeria ont arrêté toute TVA sur les protections hygiéniques. 

En Suisse, alors que le Valais et Berne ont largement refusé la proposition de loi pour des serviettes et tampons hygiéniques gratuits dans les écoles, le Jura l’a lui acceptée avec 40 voix pour, 11 voix contre et 7 abstentions. Genève a également accepté le projet, et a étendu la disposition des produits hygiéniques aux bibliothèques, musées, et lieux fréquentés par des personnes démunies. L’UNIGE a également installé 16 distributeurs de produits hygiéniques gratuits dans ses bâtiments principaux. 

Les discussions du Grand Conseil 

À la suite de la déposition d’un postulat par Muriel Thalmann, le Grand Conseil vaudois a dû discuter et voter sur le projet de loi visant à distribuer gratuitement les protections hygiéniques dans les écoles et au sein de l’administration cantonale. Le texte déposé commence comme suit : 

« Les protections relatives aux règles — serviettes, tampons, etc. — permettent de satisfaire un besoin élémentaire et impératif d’hygiène ; ce sont donc des produits de première nécessité, au même titre que le papier de toilette. Ne pas avoir accès à des protections hygiéniques au bon moment ou en quantité suffisante peut avoir des conséquences dramatiques pour les personnes concernées : atteinte à la dignité, atteinte à la santé, voire même exclusion sociale, certaines personnes renonçant à aller à l’école ou au travail. Cette problématique est donc à la source d’inégalités économiques, sociales et sanitaires, dans notre canton, qu’il convient de traiter. » 

Les discussions du Grand Conseil 

À la suite de la déposition d’un postulat par Muriel Thalmann, le Grand Conseil vaudois a dû discuter et voter sur le projet de loi visant à distribuer gratuitement les protections hygiéniques dans les écoles et au 

sein de l’administration cantonale. Le texte déposé commence comme suit : 

« Les protections relatives aux règles — serviettes, tampons, etc. — permettent de satisfaire un besoin élémentaire et impératif d’hygiène ; ce sont donc des produits de première nécessité, au même titre que le papier de toilette. Ne pas avoir accès à des protections hygiéniques au bon moment ou en quantité suffisante peut avoir des conséquences dramatiques pour les personnes concernées : atteinte à la dignité, atteinte à la santé, voire même exclusion sociale, certaines personnes renonçant à aller à l’école ou au travail. Cette problématique est donc à la source d’inégalités économiques, sociales et sanitaires, dans notre canton, qu’il convient de traiter. » 

A l’inverse, les députés favorables au postulat Thalmann rétorquent que la situation actuelle n’est pas suffisante pour lutter contre la précarité menstruelle. En effet, l’aide sociale ne prend pas en compte l’achat de protections hygiéniques, puisqu’elle n’accorde pas plus d’argent aux femmes ayant des filles à charge qu’aux hommes ayant des garçons. Le recours à l’infirmière scolaire, tout d’abord gênant pour un certain nombre de jeunes filles, ne peut être garanti, puisque l’infirmière scolaire ne peut pas être disponible tout le temps. De plus, le fait d’envoyer les jeunes filles chez l’infirmière scolaire perpétue l’idée que les règles sont une maladie et n’aide donc pas à briser les tabous qui les entourent. Ils soulignent de plus le fait que les mêmes arguments défavorables au postulat pourraient être utilisés contre la mise à disposition de papier toilette ; abus, responsabilité personnelle, etc. Une députée souligne même avec regret que le postulat aurait été accepté depuis bien longtemps si les hommes avaient des règles. Les personnes favorables au postulat voient cette proposition de loi comme une nécessité pour briser le tabou des règles et lutter contre une inégalité importante dont souffrent les femmes. 

Au vu du refus auquel le postulat faisait face, les députés favorables ont proposé de modifier légèrement le projet de loi, limitant la distribution aux établissements scolaires, et non pas aux bâtiments communaux. 68 députés se sont alors opposés au projet, contre 68 députés qui y étaient favorables. Il y eut une seule abstention. Comme le veut la loi en cas d’égalité, la présidente a alors dû trancher sur la question et a choisi d’accepter le postulat. 

De ce fait, plusieurs écoles du canton sont actuellement soumises à une étude pilote, consistant à un questionnaire soumis aux filles et aux garçons quant à leurs besoins et avis sur les protections hygiéniques, ainsi qu’à la mise à disposition de protections hygiéniques dans les toilettes des femmes. 

Bon à savoir 

A l’Unil, à la fin de l’année scolaire 2020-2021, grâce à un projet solidaire, on pouvait observer dans certaines toilettes un petit sachet en papier suspendu derrière la porte. Un écriteau encourageait les utilisatrices des 

toilettes à déposer si elles en avaient un produit hygiénique dans le cornet et invitait celles dans le besoin à se servir. Aujourd’hui, chaque bâtiment dispose, en général au niveau 0 mais parfois également dans les étages supérieurs, d’un distributeur gratuit. Ces toilettes sont marquées d’un petit logo collé sur la porte représentant soit une goutte de sang soit un carré violet arborant une serviette et un tampon hygiéniques. 

1Cup : alternative au tampon, c’est un petit récipient en caoutchouc qui est inséré dans le vagin et récolte le sang. Il doit être vidé et rincé toute les 5-8h et stérilisé dans l’eau bouillante à la fin de chaque cycle. 

Sources : 

Agir contre la précarité menstruelle. (s. d.). Etat de Vaud. https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/departements/departement-de-la-formation-de-la-jeunesse-et-de-la-culture-dfjc/rentree-scolaire-2020-2021/troisieme-partie-lactualite-de-la-rentree/agir-contre-la-precarite-menstruelle/ 

Postulat Muriel Thalmann et consorts- Pour des protections hygiéniques en libre accès dans nos écoles et au sein de l’administration cantonale. (2021, 9 mars). Etat de Vaud. https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/grand-conseil/seances-du-grand-conseil/point-seance/id/4e40a72a-42f4-4f1e-9b1a-58b5368fffbe/meeting/1000552/ 

Muriel Thalmann. (2020, 3 mars). Postulat Thalmann. https://ps-vd.ch/wp-content/uploads/2021/03/Postulat_Thalmann.pdf 

Protections périodiques gratuites en ville de Genève et à l’UNIGE. (2021, 31 août). Blick. https://www.blick.ch/fr/news/suisse/produits-dhygiene-protections-periodiques-gratuites-en-ville-de-geneve-et-a-lunige-id16793484.html 

Eric Budry. (2021, 20 mai). Des protections hygiéniques seront disponibles dans les écoles genevoises. TDG. tdg.ch/les-protections-hygieniques-seront-disponibles-dans-les-ecoles-106781856140 

Aurélie Toninato. (2021, 8 avril). Pour la première fois, des protections hygiéniques seront gratuites à l’école. TDG. https://www.tdg.ch/pour-la-premiere-fois-des-protections-hygieniques-seront-gratuites-a-lecole-461572738815 

Vaud offre à son tour des protections menstruelles à ses élèves. (2021, 2 juin). RTS info. https://www.rts.ch/info/regions/vaud/12246965-vaud-offre-a-son-tour-des-protections-menstruelles-a-ses-eleves.html 

Le grand Conseil vaudois veut des protections hygiéniques gratuites dans les écoles. (2021, 10 mars). RTS info. https://www.rts.ch/info/regions/vaud/12032997-le-grand-conseil-vaudois-veut-des-protections-hygieniques-gratuites-dans-les-ecoles.html 

Avoir ses règles sans serviettes, une précarité qui pénalise les femmes. (2020, 2 décembre). RTS info. https://www.rts.ch/info/monde/11791894-avoir-ses-regles-sans-serviettes-une-precarite-qui-penalise-les-femmes.html 

Des protections hygiéniques gratuites disponibles à l’école. (2021, 31 mars). Le 24 heures. https://www.24heures.ch/des-protections-hygieniques-gratuites-disponibles-a-lecole-731486248458 

Claire Diamond. (2020, 25 novembre). Menstruations : l’Ecosse, le premier pays à rendre les produits d’hygiène féminine gratuits. BBC News. https://www.bbc.com/afrique/monde-55074824 

Pas de serviettes hygiéniques gratuites dans les écoles valaisannes. (2020, 11 novembre). Le nouvelliste. https://www.lenouvelliste.ch/valais/pas-de-serviettes-hygieniques-gratuites-dans-les-ecoles-valaisannes-1004032 

Les étudiantes n’auront pas de tampons gratuits. (2020, 10 mars). Le 20 minutes. https://www.20min.ch/fr/story/les-etudiantes-n-auront-pas-des-tampons-gratuits-105792469449 

Le Neuchâtelois Jacques-André Maire s’attaque de nouveau à la « taxe rose ». (2018, 14 décembre). ARC Info. https://www.arcinfo.ch/neuchatel-canton/le-neuchatelois-jacques-andre-maire-s-attaque-de-nouveau-a-la-taxe-rose-807170 

Anne Xaillé. (2020, 21 janvier). Syndrome du choc toxique : symptômes, comment l’éviter ou le soigner ?. Le journal des femmes. https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-sexo-gyneco/1352232-syndrome-choc-toxique-tampon-cup-symptome-traitement-prevention/ 

Lien de l’image : https://cdn.unitycms.io/image/ocroped/2001,2000,1000,1000,0,0/RN5njJHnJyM/AncZOWw8aIiBSIJaAtOhl2.jpg 

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La préparation que demande un combat en boxe anglaise

Manon Andreatta, Février 2021

La boxe est un sport de combat pratiqué à un contre un. Elle représente de nombreuses disciplines comme la boxe américaine, le kickboxing, la savate boxe, la boxe française ou encore la boxe thaï. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à la boxe anglaise.

La boxe anglaise est un style qui n’utilise que les poings, mais il ne faut pas négliger le bas du corps qui est tout aussi important pour la puissance des coups. Ce sport demande une condition physique importante sur plusieurs points, au niveau de la rapidité, de la force, des réflexes, de l’explosivité et nécessite une grande coordination entre le bas et le haut du corps. Mais la condition physique ne fait pas tout, elle exige d’avoir de la technique afin de pouvoir faire des enchainements de coups de façon précise et automatique.

Le plus gros travail dans le sport, qui représente environ 80% de la performance est le mental.

Il joue une place centrale, de même qu’une confiance en ses capacités et dans l’estime de soi, qu’on acquière par l’entrainement.

Des pensées négatives ou une faible estime de soi chez un athlète peut engendrer sa défaite, alors même qu’il possède des capacités physiques supérieures.

La confiance de l’athlète peut dépendre de l’environnement dans lequel il s’entraine, dans lequel il a vécu ainsi que de ses liens sociaux. Des événements de la vie quotidienne peuvent également venir perturber la préparation du sportif et faire entrave à sa réussite.

Pour ces raisons, on va donc s’intéresser à la préparation mentale que demande un combat et les conséquences potentielles d’une défaite sur l’athlète. Différentes techniques pour la préparation ont été validées théoriquement, telles que la communication, la relaxation type yoga ou la visualisation, qui consiste à se voir en train de combattre et à imaginer tous les points techniques et physiques dans leurs moindres détails.

Du point de vu de l’entraineur du boxing club Evian et ancien boxeur professionnel Aissat Chaoiki, la préparation à un combat respecte des phases de préparation mentale et physique qui s’étalent sur deux mois, avec une fréquence de deux entrainements par jour.

Lors de la sixième, cinquième et quatrième semaine avant le combat, les entrainements seront difficiles, avec des adversaires dont le niveau est supérieur, ayant pour but de créer un conditionnement psychique pour optimiser la réussite du sportif. D’après Aissat Chaoiki cela consiste à « utiliser une répétition de gestes et de situations pour créer un engrenage, de l’automatisation, augmenter la confiance en soi et la gestion des émotions (notamment le stress) ».  En revanche, durant la troisième et deuxième semaine, l’entrainement deviendra plus simple avec des adversaires « moins difficiles », pour que l’athlète puisse tenter d’appliquer ce conditionnement psychique entraîné au cours des semaines précédentes.

De plus, dans la phase de préparation mentale est prise en compte également l’exigence d’arriver au poids demandé pour la pesée afin que l’athlète rentre dans sa catégorie de poids. Les principales méthodes utilisées pour une perte de poids rapide sont la restriction alimentaire et hydrique, l’augmentation de l’activité physique (notamment des activités qui font travailler le cardio), les environnements chauds (sauna, …) ainsi que la prise de médicaments (diurétiques, laxatifs, réduction d’appétit). La déshydratation entraine alors des pertes de poids brutales qui peuvent aggraver les commotions cérébrales ou causer des tendinites, du fait que les tendons ne seront pas suffisamment irrigués. Les restrictions alimentaires peuvent également conduire à des problèmes de suralimentation après les pesées ou engendrer des TCA (Troubles du comportement alimentaire). Elles peuvent aussi avoir des répercussions plus ou moins importantes sur la performance et la santé (déséquilibre hormonal, électrolytique ou même des problèmes cardiaques, une déficience immunitaire et une augmentation de la mortalité).

De plus, la restriction pour atteindre le « poids idéal », bien souvent inférieur au poids de forme de l’athlète, provoque des sentiments de colère, de confusion, de tension ainsi qu’une diminution de la mémoire et de la concentration, impactant la performance physique.

Parfois, même avec une grande préparation et de la détermination, on peut tomber sur plus fort que soi ou être confronté à des événements imprévus venant perturber la préparation et impacter le résultat du combat. À la suite d’une défaite, l’athlète va travailler avec l’aide de son entraineur et de son entourage autour de l’acceptation du combat et va procéder à une décharge émotionnelle consécutive aux sentiments de déception, peur (si le boxeur a reçu des coups violents), tristesse, dégoût face au résultat après des mois d’entrainement. Après ses premières étapes d’acceptation, le boxeur doit se recentrer et fixer de nouveaux buts et des objectifs intermédiaires comme l’explique Chaoiki.

Kylian un boxeur en catégorie amateur (sous la catégorie professionnelle) du Boxe club Villards-sur-Glanes, avec un actif de 7 combats nous raconte sa préparation avant chaque combat :

« La préparation mentale et physique est très déterminante pour l’appréhension du stress avant le combat ». Sa préparation physique commence déjà deux mois avant le combat à une fréquence de 6 entrainements par semaine pendant trois semaines et 3 entrainements par semaine pendant une semaine.  Quant à la préparation psychologique, deux semaines avant le combat, Kylian va pratiquer de la sophrologie (10 à 15min tous les deux à trois jours) et effectue un travail de visualisation. Pour être au poids, Kylian va favoriser différentes techniques, telles que le jeune intermittent et les entrainements cardio.

La boxe néanmoins est une activité physique avec des risques et des sacrifices mais elle a un apport positif pour la vie quotidienne, que décrit Kylian : « Ce qui me pousse à continuer de faire ce sport c’est les bienfaits physiques, mentaux qui sont incroyables. Au niveau physique le corps change, on se muscle et on a un meilleur cardio.

Au niveau mental, la boxe développe la confiance en soi, on connait nos limites et ce qu’on vaut, si je devais recommander un sport à des personnes timides, qui manquent de confiance en elles, je leur recommanderais clairement un sport de combat, un sport individuel. Quand tu te retrouves face à l’adversaire, c’est celui qui a le plus faim qui va gagner et ça, ça motive. »

La boxe anglaise demande une grande préparation physique mais aussi mentale comme nous avons pu le constater. Il faut être capable d’encaisser les coups, les donner, accepter d’en recevoir et gérer son stress, qui peut bloquer plus d’un sportif avant et pendant un combat. Sans oublier la pression de la pesée qui demande des sacrifices alimentaires. Mais cela apporte des forces pour la vie quotidienne. On peut noter aussi que c’est un milieu où le respect, la solidarité et l’entraide est essentielle entre les boxeurs.

Sources:

Quels sont les risques de la boxe ? Les réponses d’un médecin de la Fédération

https://doc.rero.ch/record/327606/files/TB_AM_RB_2018-2019_PDF.pdf

https://www.pinterest.fr/pin/540291286519468293/

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Consentante jusqu’à preuve du contraire

Flavia von Xylander

Tout d’abord, parlons de mythes, les mythes sur le viol

C’est l’histoire d’une femme qui marche dans la rue. Elle est seule et normalement vêtue. C’est l’histoire d’un homme qui marche dans la rue, il est seul mais on ne se demande pas comment il est vêtu. Cet homme rencontre cette femme et soudain il n’y voit plus. Le viol advient et personne n’y aurait cru.

Au cœur des thématiques actuelles sur le consentement, le viol et le harcèlement de rue, il est important d’avoir conscience qu’il existe de nombreux mythes planant autour du viol et que ceux-ci engendrent énormément de conséquences.

Le scénario venant d’être décrit fait partie de la représentation majoritaire que l’on se fait lorsque nous pensons au viol[1]. Mais celui-ci est appelé mythe car il est loin de représenter la majorité des viols qui adviennent réellement[2]. En fait, nous nous retrouvons dans une étrange situation où la norme est donnée par la minorité des situations, et non par la majorité.

En effet, dans le viol, on y voit quasiment toujours un inconnu aux mauvaises intentions qui voudrait faire du mal. Un individu anormal, car toute personne normale ne ferait jamais une chose pareille. Celui-ci agresserait la femme et serait tellement méchant qu’il ne prendrait même pas la peine de l’amener dans un lieu privé. Non. Il la violerait là, en public, et sera particulièrement violent[3].

Une vision du monde démunie de nuances, un certain nombre de stéréotypes vont de pair avec ce mythe du « vrai viol » : le violeur ne pourrait être qu’homme, il ne pourrait être qu’inconnu et la victime ne pourrait être qu’une femme qui n’aurait rien à se reprocher. Posant la question de ce qui est reprochable ou non, nous pouvons y voir un idéal du comportement féminin peu représentatif de la réalité mais surtout, très influencé par les dictats de la société.

Le Victim Blaming

Parce qu’un mythe est perçu par certain·e·s comme une réalité, toute agression sexuelle advenue mais n’entrant pas dans la norme invoquée par ce mythe serait sujette à interprétation. Celle-ci donnerait même naissance à un flou qui dérange. Selon des psychologues sociaux, la motivation à réduire l’incertitude serait une des motivations principales de tout individu : le monde doit être prévisible et compréhensible, sinon il engendre un profond inconfort.

Motivé·e·s par la volonté de se libérer de cet état d’inconfort le plus rapidement et le plus efficacement possible, les stratégies employées sont nombreuses mais peuvent mener à des conclusions erronées. Ce mécanisme est, selon les psychologues, déclenché par la croyance en un monde juste[4] : le monde serait un environnement profondément juste et donc on ne pourrait qu’obtenir « ce qu’on mérite ou mérite[r] ce qu’on obtient »[5].

Il ne s’agit donc pas de trouver des arguments réels pour expliquer un phénomène pour nous incompréhensible, mais il s’agit de trouver des arguments – pas toujours solides – nécessaires pour ne pas devoir remettre en question cette croyance sous-jacente. En effet, si tout le monde mérite ce qu’il·elle obtient, alors comment cela peut-il arriver à quelqu’une qui n’a rien à se reprocher ?

Dans le cas du viol, le victim blaming est une des stratégies principales mises en œuvre par les individus afin de réduire leur inconfort. Celle-ci consiste à blâmer la victime à la place de se concentrer sur l’agresseur lui-même[6]. Conséquence directe du stéréotype de la « vraie victime », elle semblerait être particulièrement efficace. Il s’agit de tous les comportements cherchant à trouver les causes de l’incident en amont du crime, mettant la femme au centre des préoccupations : on lui demandera comment elle était vêtue, si elle avait bu, ou si elle a fait quoi que ce soit pour instiguer son agresseur.

Puisqu’il est plus facile de trouver une faute chez la victime plutôt que chez l’agresseur, celle-ci serait de toute façon reprochable et donc, elle serait en partie responsable[7]. De ce fait, l’agresseur se verrait béni d’une certaine empathie, lui retirant ainsi une part de responsabilité sur les évènements : il n’a juste pas su lire les messages contradictoires dégagés par la femme. Elle avait qu’à être plus claire après tout, ne pas montrer ses jambes, sa poitrine ou son fessier ; ne pas être trop discrète ou au contraire trop se montrer ; ne pas être seule, ne pas être ivre, ne pas être en train de dormir… Ou bien, tout simplement, ne pas exister.

La législation suisse

Les mythes sur le viol sont nombreux et il est malheureusement impossible de tous les évoquer dans cet article. Mais rien que le mythe d’un viol violent et ses stéréotypes associés nous permettent de comprendre qu’il y a un réel problème de fond à éradiquer dans nos sociétés. Un problème qui nous empêche de pouvoir reconnaître l’action subie par certaines victimes et agir sur toute action pouvant être menée par un·e agresseur·seuse.

Car l’Inconscient collectif, ce n’est pas seulement les citoyens, c’est les institutions elles-mêmes qui fondent leurs lois, leurs attitudes et leurs décisions par rapport aux croyances partagées. Ainsi, se déploie tout le problème de la crainte de la dénonciation et donc, celui du silence des victimes.

Il n’a pas été très dur de voir inscrit, noir sur blanc, la représentation totalement réductrice que la loi elle-même donne à voir sur ce que nous considérons comme un viol. Et donc, ce sur quoi il est possible d’avoir un pouvoir d’action.


[8]« Viol – Article 190

1Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de un à dix ans. »


En effet, la première chose sautant aux yeux est le côté genré de l’article : celui-ci suppose qu’une victime de viol ne peut être que de sexe féminin. Les hommes, eux, passeraient donc totalement à la trappe. Deuxièmement, on y voit également se manifester une représentation du viol ne pouvant qu’être violent : il y a nécessité de « menace » et de « violence » explicite pour considérer un viol comme tel. Ceci renforce l’idée d’une domination forte de l’agresseur sur la victime, étant tellement puissante qu’il la mettrait « hors d’état de résister ». En d’autres termes, si la personne avait pu résister et qu’elle ne l’a pas fait, on ne l’a pas violée. Les autres raisons qui pourraient amener une victime à ne pas résister, comme l’amour que l’on peut porter à une personne, le fait de ne pas se rendre compte tout de suite de ce qu’il se passe, ou bien simplement d’être pris·e par une paralysie, demeurent encore des oubliés.

Ainsi, la victime aurait presque intérêt à être gravement blessée/marquée par l’acte lorsque celui-ci se passe, pour avoir l’infime espoir d’être crue et que ce qu’il·elle a subi lui soit reconnu. Sans preuve de résistance ou de lutte de sa part, sans preuve de vrai traumatisme, en d’autres termes, sans séquelles visibles, la victime ne sera pas considérée comme crédible. Ainsi, elle demeurera consentante jusqu’à preuve du contraire.


[1] Du Mont, 2003

[2] http://www.victimedeviol.fr/concernant-les-victimes.html

[3] Du Mont, 2003

[4] Burt, 1980

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Croyance_en_un_monde_juste

[6] Burt, 1980

[7] Carmody & Washington, 2001

[8] Code pénal suisse, page 90

Références :

  • Burt, M. R. (1980). Cultural Myths and Supports for Rape. Journal of personality and Social Psychology, 38 (2), 217-230.
  • Carmody, D.C. & Washington, L.M. (2001). Rape Myth Acceptance Among College Women: The Impact of Race and Prior Victimization. Journal of Interpersonal Violence, 16, 424-436.
  • Code penal Suisse, version révisée (2020)
  • Du Mont, J. D., Miller, K.-L., & Myhr, T. L. (2003). The Role of « Real Rape » and « Real Victim » Stereotypes in the Police Reporting Practices of Sexually Assaulted Women. Violence Against Women, 9(4), 466-486.
  • Image : https://thecreative.cafe/four-years-ago-i-was-sexually-molested-4bc4e8e886fc
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Abus sexuels : on en parle ?

Dans le cadre de mon master en Ethique, j’ai rédigé un mémoire sur « Les répercussions de la communication sur les victimes d’abus sexuels ». J’ai donc travaillé durant deux ans sur ce mémoire, ai lu de nombreux témoignages de victimes, analysé différents documentaires sur ce sujet, et rencontré plusieurs victimes d’abus sexuels. Les victimes que j’ai rencontrées sont toutes des femmes issues du milieu universitaire. 

Le sujet des abus sexuels est un sujet tellement vaste que j’ai dû limiter mes recherches à certains aspects. Ce travail ne tendait donc pas à être exhaustif mais simplement à questionner certaines de nos certitudes. Mes lectures étaient pluridisciplinaires, allant de la philosophie à la psychologie en passant par la sociologie. 

J’ai tenu à écrire ces articles afin de partager mes réflexions, et surtout les connaissances que j’ai pu acquérir à ce sujet. Il n’apporte pas de réponse à ce problème mais permet de questionner et de mieux comprendre certaines de nos réactions. Plusieurs articles seront publiés sur ce sujet afin d’aborder les aspects qui me paraissent les plus importants. 

Fil conducteur de ma recherche

L’actualité de ces dernières années montre des victimes d’abus sexuels osant « se donner la parole ». Que ce soit par l’intermédiaire des mouvements #metoo, #balancetonporc ou Time’s Up, la parole des victimes de violences sexuelles semble se libérer. Le langage est central dans ces histoires et la parole semble contribuer à la guérison des victimes. J’ai effectivement été interpellée par le nombre de personnes de mon entourage osant enfin dire ou écrire ce qu’elles avaient vécu. La multiplication des témoignages écrits ou oraux irait effectivement dans le sens d’une guérison possible par la parole. Les mouvements comme #balancetonporc ont eu des répercussions politiques : le Président de la République Française, François Hollande, a demandé en 2016 à la journaliste Flavie Flament de travailler sur la question de la prescription des agressions sexuelles en France. Ce phénomène est donc devenu social et politique. Ces affaires taboues il y a encore quelques années prennent le devant de la scène. 

Mais pourquoi, malgré toutes les connaissances que nous avons sur les répercussions des abus sexuels sur les victimes, les réactions des confidents s’avèrent si souvent inadéquates et malvenues ? Quelles sont les répercussions de la révélation des faits, tant sur le récepteur que sur l’émetteur ?

Article 1 : « Pourquoi n’as-tu pas parlé plus tôt ? »  

« Pourquoi n’as-tu pas parlé plus tôt ? ». Telle est l’une des premières questions qui est souvent posée aux victimes d’abus sexuels lorsqu’elles révèlent ce qu’elles ont subi. Avant de se demander pourquoi cette question est posée, on peut se demander d’abord pourquoi les victimes ont des difficultés à parler de leur agression ? Quels peuvent-être les sentiments et les émotions à l’origine de leur silence ? 

La honte, la culpabilité et la dimension sociale du secret

Bernard Rimé (2009) a étudié « le partage social des émotions » et a cherché à comprendre pourquoi certains événements émotionnels très puissants n’étaient pas soumis au « partage social »[1]. Il a donc donné différentes pistes pour comprendre les origines du silence d’une victime d’abus sexuel et deux sentiments se révèlent avoir des conséquences importantes sur la parole des victimes : la honte et le sentiment de culpabilité. 

Pourtant, ces deux sentiments ne sont pas les seules causes du silence des victimes. Le secret n’a pas qu’une fonction individuelle mais aussi une fonction sociale. En effet, il est fréquent que les victimes ne parlent pas de ce qu’elles ont subi de peur de faire du mal à quelqu’un, à un proche le plus souvent. Prenons le cas de l’inceste, il est facile d’imaginer qu’une victime n’ose pas parler de ce qu’elle a subi en raison des conséquences et de la peine qu’une telle révélation entrainera dans sa famille. De nombreuses victimes m’ont confié, en substance « je ne le dirai jamais à mes parents car je ne veux pas leur imposer cette douleur ».

Une autre dimension sociale intervient. Les faits peuvent être gardés secrets afin de préserver une certaine image de soi aux yeux d’autrui. C’est une façon pour les victimes de se protéger du regard des autres. La révélation peut être une menace pour l’intégration sociale et entrainer une perte des liens d’appartenance. Une victime est sensible à ce que l’on va penser et dire de ce qu’elle a subi. L’estime de soi d’une victime est souvent fragilisée en raison d’un fort sentiment de culpabilité. Or l’estime de soi est la condition du partage social de l’émotion. Par conséquent, une restauration de l’estime de soi est nécessaire pour permettre un partage, ce qui peut prendre du temps.

Un silence mortifère ?

« Le silence tue… Une fois qu’on met le doigt dans le silence c’est fini, on ne parle plus. »[2]

Ainsi parle Laurent Boyer dans le documentaire Enfance abusée diffusée sur France 2 le 20 novembre 2018. Au cours de ce documentaire, j’ai pu relever différentes phrases allant dans ce sens, montrant le caractère mortifère du silence. Toutes les victimes qui témoignent lors de cette émission soulignent et insistent sur l’importance de la parole dans leur processus de guérison. Tous ont gardé ces histoires secrètes durant de nombreuses années en raison de la proximité de leur agresseur, qu’il soit ami de leur parent ou membre de leur famille. Tous sont catégoriques et affirment que le silence est ce qui les a détruits, ce qui les a emprisonnés dans leur histoire et ce qui les a éloignés du reste de leur famille ou des autres en général. Il est en effet assez commun de penser que le fait de parler de son vécu, le mettre en mots est un moyen de guérir. Dès lors, on pense souvent que le non partage des émotions a des conséquences néfastes sur la victime et que cela peut entrainer un stress et des troubles de la santé physique[3]. Des études rapportées par Bernard Rimé (2009) montrent par exemple que les personnes détenant des secrets indicibles seraient moins satisfaites de leur vie. 

Mais la parole est-elle véritablement libératrice et guérisseuse ? 

J’ai pourtant été interpelée par la réaction de certaines victimes dans le film Grâce à Dieu.[4] Notamment deux des victimes, qui ne font que des apparitions rapides ou sont simplement mentionnées. Elles ne veulent pas parler de ce qu’elles ont subi, car parler remue en elles trop de souvenirs douloureux. Les deux victimes ont des comportements révélateurs de leur mal-être, l’une ne peut s’empêcher de pleurer au téléphone tandis que l’autre est très violente. Je me pencherai sur ce deuxième exemple. Après avoir nié pendant des années avoir été victime d’abus sexuel, le jeune homme finit par en parler à sa famille. Il révèle les faits mais par la suite refuse tout dialogue à ce propos. Il ne veut pas parler de cette histoire et ne veut pas être vu comme une victime. Il martèle « je ne témoignerai pas, je ne veux plus entendre parler de cette histoire ». Une simple allusion à ce qu’il a subi le rend fébrile. Pour celui-ci, la parole ne semble pas être un moyen de guérison, bien au contraire. La violence de ses mots et de son comportement semble indiquer un véritable mal-être. Je me suis donc demandée si ces personnes qui témoignent à la télévision ou qui écrivent sur leur vie n’ont pas une certaine manière de guérir qui leur est propre. La parole a une importance capitale pour ces personnes en particulier, c’est pourquoi elles ont accepté de témoigner publiquement. Cela ne permet pas pour autant d’en faire une généralité.

Les études de Bernard Rimé (2009) confirment l’hypothèse que parler ne guérit pas toujours. Le partage social n’entraine pas nécessairement une régulation des émotions et n’éliminerait pas le stress qui y est lié. Il n’y a pas plus de rumination mentale et de pensées intrusives quand l’événement émotionnel n’est pas partagé. Certes, les souvenirs non partagés suscitent plus d’efforts cognitifs que les souvenirs partagés, dans la mesure où ils demandent plus de recherche de sens, plus d’efforts pour comprendre ce qu’il s’est passé et plus de tentatives pour remettre de l’ordre. Cela peut être assimilé à une tâche cognitive inachevée. Mais au niveau de la santé mentale de la personne, cela ne semble pas véritablement améliorer la situation. 

Il est certainement possible de très bien vivre avec un tel secret, mais ces secrets n’étant jamais exprimés, je n’ai pas pu les étudier. Je n’ai donc aucun élément de comparaison et ai été obligée de me concentrer sur des témoignages exprimés. Je ne peux que m’appuyer sur les témoignages de personnes ayant gardé le secret pendant un certain temps. Sauf quelques rares exception, comme les exemples cités plus haut extraits du film Grâce à Dieu, ces témoignages vont dans le sens d’un sentiment de libération au moment de la révélation des faits, dans la sphère privée. 

Il est intéressant de voir la différence entre le ressenti des victimes et les études de Bernard Rimé, qui montrent donc que le partage social n’aide pas les victimes et ne ferait que les soulager. Pourtant, les victimes ne s’estiment pas simplement soulagées mais affirment aller mieux et disent « revivre ».

Ainsi, il est difficile pour une victime de répondre à la question « pourquoi n’as-tu pas parlé plus tôt ? ». Ces révélations impliquent des émotions très fortes tant pour la victime que pour le récepteur, ce qui rend la communication difficile. Toutefois, une agression a des répercussions sur le comportement des victimes : si la communication n’est pas verbale, n’est-il pas possible qu’elle soit comportementale ?

Rédactrice : Blanche Moinard 

Source image : https://www.curml.ch/sites/default/files/rubriques/3.png


[1] B. RIME, Le partage social des émotions, Paris, Presses universitaires de France, 2009.  

[2] E. GUERET, « Enfance abusée » [documentaire], France 2, première diffusion le 20 novembre 2018, 84min. 

[3] B. RIME, Le partage social des émotionsop.cit. 

[4] F. OZON (réalisateur), Grâce à Dieu, Mars Films, 2019, 137min. 

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T’es cap ou pas cap ?

Le système de filières à l’école obligatoire créateur d’inégalités

Dans le domaine de la sociologie de l’éducation, nombreux sont les écrits qui évoquent l’école comme vecteur important d’inégalités. De par son organisation et son fonctionnement, cette dernière jouerait en effet un rôle crucial à la fois dans la perpétuation d’inégalités préexistantes mais également dans la production d’inégalités en terme d’apprentissages proposés et de parcours scolaires (Felouzis, 2014, pp. 5–6). 

C’est dans cette perspective que Felouzis évoque, dans son ouvrage Les inégalités scolaires (2014)la segmentation précoce du système scolaire en filières hiérarchisées et qu’il souligne l’impact majeur de ce « mode de regroupement » sur l’émergence d’inégalités (Felouzis & Charmillot, 2017, p.3). 

Dans un système dit segmenté, très tôt durant l’école obligatoire, les performances de l’élève sont en effet évaluées et lui permettent d’accéder ou non aux diverses filières proposées par l’établissement dans lequel il effectue sa scolarité. Fréquemment, ces dernières marquent une distinction entre les élèves se destinant au monde professionnel ou académique.

« Les cantons les plus inégalitaires ont tous des systèmes d’enseignement segmentés »

(Felouzis & Charmillot, 2017, p.9)

Quid du canton de Vaud ?

Un certain nombre de cantons suisses procèdent à une segmentation des parcours scolaires durant l’école obligatoire. C’est le cas notamment du canton de Vaud, dont le système scolaire répartit les élèves, dès la fin de l’école primaire, en fonction des notes obtenues durant les années précédentes. En effet, durant le secondaire I d’une durée de 3 ans, les élèves âgés de 12 ans sont orientés dans une voie dite prégymnasiale (VP) ou une voie générale (VG).

La première est destinée aux meilleurs élèves et a pour but de les former pour l’obtention future d’une maturité gymnasiale en vue d’une carrière académique. Les élèves peuvent ainsi étudier le latin, l’économie, le droit, la physique etc. La voie générale propose quant à elle une formation davantage orientée vers le milieu professionnel, une école de culture générale ou de commerce. Les enseignements alors proposés aux élèves ciblent le développement de compétences artisanales, techniques ou encore commerciales. En ce qui concerne les mathématiques, le français et l’allemand, la voie générale répartit encore les élèves en deux niveaux, un niveau de compétences de base ou un niveau plus exigent (Etat de Vaud, s.d.).

Cette fragmentation des parcours scolaires possède certains avantages fréquemment mis en évidence pour la justifier. Le premier argument est que chaque filière propose un programme différent et adapté au niveau scolaire des élèves, pour leur permettre de se développer à leur rythme et d’acquérir des connaissances ciblées et ajustées à la carrière envisagée, académique ou professionnelle. De plus, le processus de segmentation fournit la possibilité de créer des classes homogènes et ainsi d’optimiser l’efficacité des enseignements dispensés (Felouzis et Charmillot, 2017).

Quelles conséquences ?

Les nombreuses recherches concernant l’impact des filières hiérarchisées ont permis de démontrer que « le système segmenté est celui qui produit le plus d’inégalités sociales entre élèves » (Felouzis, 2014, p.85). Les élèves qui performent le mieux bénéficient souvent d’un enseignement de meilleure qualité, de « programmes plus fournis et ambitieux », ils étudient entre autres le latin ou l’économie. Au contraire, les élèves plus faibles scolairement restent cantonnés dans des apprentissages de base et souvent de qualité inférieure (Felouzis, 2014, p.85).

En outre, cette division en termes de performances engendre fréquemment une ségrégation des élèves en fonction de leurs caractéristiques socio-économiques. De ce fait, les programmes scolaires sont différenciés non seulement selon le niveau des élèves mais de façon indirecte également selon leurs milieux sociaux (Felouzis et Charmillot, 2017). 

Certes ces répartitions dans une voie ou une autre ne sont pas hermétiques et définitives. Dans certaines conditions et si les résultats le permettent, les élèves peuvent être réorientés en fin d’année ou de semestre. A la fin de l’école obligatoire, une année de rattrapage est également mise en place pour les élèves qui souhaiteraient acquérir les compétences en vue d’une maturité gymnasiale (Etat de Vaud, s.d.). Cependant, ces raccordements demeurent coûteux, en termes de temps mais également d’efforts devant être fournis par l’élève qui souhaite rattraper son retard. Retard qu’il n’aurait peut-être pas accumulé s’il avait été placé en fonction de ses choix et non de ses résultats ou si on lui avait laissé plus de temps avant de le ranger dans la case des prétendus « moins bons ». On peut supposer dans les faits que cela décourage plus d’un élève.

« On donn[e] moins à ceux qui ont déjà le moins et plus à ceux qui ont le plus »

(Felouzis, 2014, p.80)

En outre, le processus de segmentation engendre un regroupement des élèves aux performances plus basses dans les mêmes classes. Cette homogénéité empêche la mise en place d’une dynamique d’enseignement favorable aux apprentissages. Elle limite également nettement l’apprentissage entre pairs, idéal pour stimuler les élèves à l’acquisition de connaissances. Il a également souvent été mis en évidence que dans les filières rassemblant les élèves aux résultats moins élevés, les professeurs diminuent la qualité de leur enseignement ainsi que le niveau de leurs exigences. Les élèves ne bénéficient donc aucunement de conditions égales d’encadrement entre les différentes filières proposées, facteur permettant d’expliquer en partie la création d’inégalités scolaires (Felouzis, 2014, p.78). 

L’effet Pygmalion

Aux multiples conséquences déjà mentionnées s’ajoute le stigmate associé aux filières regroupant les élèves aux moins bons résultats. En effet, en associant l’idée que les meilleurs élèves, les méritants, ont accès à une filière académique et ceux plus faibles à une voie professionnelle, on sous-entend également qu’une voie est plus prestigieuse qu’une autre et on risque de transmettre implicitement à l’élève plus faible le message qu’il n’est pas assez capable pour prétendre à cette voie prestigieuse. L’élève peut alors être amené à intérioriser ce message et ajuster ses attentes et ses objectifs en fonction de ce dernier. Ce phénomène nommé effet Pygmalion d’après l’étude de Rosenthal et Jacobson (Trouilloud & Sarrazin, 2003) se retrouve également au travers des attentes négatives des enseignants vis à vis des élèves aux moins bons résultats. Le professeur modifie son attitude en fonction de ses attentes. Il aura tendance, même inconsciemment, à davantage s’impliquer avec l’élève de la voie prestigieuse, et nettement moins avec l’élève de la voie moins prestigieuse. Or ce mécanisme impacte le comportement de l’élève qui se sent étiqueté et va agir comme son étiquette le prédit. Il influence également ses performances et le bon déroulement de son cursus scolaire (Trouilloud & Sarrazin, 2003).

« Une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec une conviction suffisante, qu’on la caresse et la berce avec soin, finira par produire sa propre réalité »

(Watzlawick, 2014, pp.53-54)

Ainsi, regrouper les élèves par filières, les classer en fonction de leurs performances est bien loin d’être un acte anodin mais au contraire contribue, comme une « prophétie auto-réalisatrice » (Trouilloud & Sarrazin, 2003, p. 92) à créer une réalité concrète qui n’était auparavant que virtuelle. En effet un élève jugé moins bon d’après ses résultats (mais qui ne l’est pas forcément dans les faits, comment en juger, d’autant plus qu’il n’a que 12 ans !) sera placé dans une filière adaptée à son niveau, il bénéficiera d’enseignements de médiocre qualité, il sera stigmatisé et influencé par les attentes du système et des enseignants, et il terminera son école obligatoire en étant cette fois réellement moins bon alors que ce n’était pas forcément le cas au départ. 

Quelles alternatives ?

Une étude menée par Felouzis et Charmillot concernant Les inégalités scolaires en Suisse (2017) a révélé qu’aux côtés des cantons de Neuchâtel, St-Gall et Zürich, le canton de Vaud était un des plus inégalitaires en termes de système scolaire. En revanche, les inégalités sont moins marquées dans les cantons suisses dont les systèmes sont intégrés et non ségmentés. En Valais par exemple, tous les élèves suivent un cursus identique durant les deux premières années du secondaire 1 à l’exception des branches élémentaires comme les mathématiques, l’allemand ou le français. Une division en filière s’opère néanmoins durant la dernière année pour préparer les élèves qui le souhaitent à une maturité gymnasiale (Felouzis et Charmillot, 2017). 

Une première alternative serait donc d’opter pour un système scolaire intégré où tous les élèves, sans considération pour leurs résultats, suivent un même cursus jusqu’à la fin de leur scolarité obligatoire. Un autre facteur joue également un rôle important pour réduire les inégalités, le retardement dans la scolarité de la division en filières. En effet, la littérature a « démontré qu’une orientation/sélection précoce défavoriserait particulièrement les enfants issus de milieux familiaux modestes, alors que l’orientation repoussée […] réduisait les écarts tout en assurant une meilleure réussite scolaire pour tous » (Charpentier, 2014).

Ce système a été notamment adopté par les pays Scandinaves qui rejettent la division en filières durant l’école obligatoire. Jusqu’à l’âge de 16 ans, les élèves poursuivent un cursus scolaire identique, en bénéficiant d’une aide spécialisée gratuite si l’élève en ressent le besoin. Chaque élève peut néanmoins composer une part de son programme d’enseignement en fonction de ses intérêts. De plus, pour réduire le phénomène de compétition et de sélection, les notes ne sont introduites que durant les dernières années de l’école obligatoire. Dans cette perspective de refus de la sélection, les redoublements ne constituent pas non plus une pratique courante (Charpentier, 2014).

En outre, les systèmes scolaires scandinaves prônent, au contraire des systèmes segmentés, l’hétérogénéité des classes pour mieux stimuler les élèves entre eux et que chacun puisse bénéficier d’un climat d’enseignement le plus favorable possible. Les élèves progressent ainsi ensemble et ce n’est qu’à 16 ans, à la fin de leur scolarité obligatoire qu’ils choisiront de s’orienter en vue d’une carrière académique ou professionnelle (Charpentier, 2014). 

Pour conclure, bien que le système de segmentation précoce en filières hiérarchisées ne soit pas l’unique cause des inégalités scolaires, il existe néanmoins des alternatives possibles, telles que des systèmes intégrés ou une orientation plus tardive qui permettent de les atténuer et de proposer aux élèves des conditions d’apprentissages plus favorables.

A l’exemple des pays scandinaves, la conception de la scolarité devrait permettre de promouvoir un système scolaire qui s’ajuste à l’élève et non pas au contraire un système pour forcer les élèves à s’adapter pour ne pas se faire distancer. Un système pour construire une dynamique adéquate pour stimuler les élèves, les accompagner dans leur formation et non pas les sélectionner, les classer, les catégoriser. Abandonnons l’idée d’une école qui « donn[e] moins à ce qui ont déjà moins » (Felouzis, 2014, p.80), d’une école élitiste pour « une école réellement démocratique et émancipatrice » (Charpentier, 2014, p.9).

Par Roxane Coquoz, Novembre 2019

Bibliographie

Charpentier, H. (2014). Systèmes scolaires et équité sociale. Retrieved November 23, 2019, from Ecole changer de cap website: http://www.ecolechangerdecap.net/spip.php?article107

Etat de Vaud. (n.d.). Déroulement de l’école obligatoire dans le canton de Vaud. Retrieved November 23, 2019, from https://www.vd.ch/themes/formation/scolarite-obligatoire/deroulement-de-lecole-obligatoire-dans-le-canton-de-vaud/

Felouzis, G. (2014). Les inégalités scolaires. Paris (6, avenue Reille 75685): PUF.

Felouzis, G., & Charmillot, S. (2017). Les inégalités scolaires en Suisse. Social Change in Switzerland, (8). https://doi.org/10.13094/SMIF-2017-00001

Trouilloud, D., & Sarrazin, P. (2003). Les connaissances actuelles sur l’effet Pygmalion: processus, poids et modulateurs. Revue française de pédagogie, (145), 89–119.

Watzlawick, P. (2014). Faites vous-même votre malheur, Paris : Ed. du Seuil.

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Pourquoi se moque-t-on des roux?

 

Le roux, de par sa rareté, est différent. Comme beaucoup de minorités, les roux sont soumis à une discrimination plus ou moins bonne enfant. Pourquoi ? L’Histoire nous l’apprend.

Dans notre société occidentale actuelle, où (presque) tout le monde sait que la couleur des cheveux ne définit pas la personnalité, le roux reste tout de même une particularité inhabituelle. Sans doute est-ce pour ça que cette couleur est actuellement très prisée : être différent est en vogue. On l’utilise fréquemment dans la publicité, la fiction ou la mode pour une image impactante, forte et glamour. Le cinéma et les écrivains en sont friands aussi : la rousseur peut donner une aura singulière et mystérieuse ; et les clichés facilitent la tâche. Pourtant, le roux est souvent sujet à moqueries, et ce depuis longtemps.

« Ceux qui ont les cheveux roux sont (selon leur inclinaison naturelle) remplis d’orgueil et de superbe, et le veulent emporter sur les autres, comme l’or sur les autres métaux, et de même que le lion sur les autres animaux. On dit qu’ils sont envieux de même que le lion, qui a le poil de la sorte, et qui ne saurait souffrir que l’on caresse les chiens, ni aucun autre animal. On les blâme de fourberies, comme le loup et le renard qui approchent aussi ce poil, et qui se servent de finesse pour trahir les autres animaux. On les condamne de médisance, parce qu’ils sont remplis de bile, qui contribue à cette couleur, et qui leur donne un flux de langue, qui s’épanche assez souvent sur la réputation du prochain. On leur attribue enfin l’avarice, ce que leur poil semble témoigner, qui tire fort sur la couleur de l’or des Indes, qui est plus roux que celui qui croît dans les autres mines, étant certain qu’on a quelques inclinations aux choses que l’on ressemble. » (La Bellière 1664, cité dans André, 2007, pp. 31-32)

L’effrayant charme des femmes

Dans un certain nombre de cultures, la chevelure est vue comme une partie érotique de la femme, soit cachée (voiles des musulmanes et des religieuses chrétiennes), soit mise en avant. Ceci ajouté aux caractéristiques de cette couleur particulière, le rouge symbolisant gloire et force, le jaune soleil ou maladie (Pastoureau et Simonnet, 2014), on obtient le mélange parfait pour les femmes de joie, les tentatrices, les pécheresses. Les prostitués ont effectivement, de l’Antiquité à aujourd’hui, été associées au roux (Fauche, 1997, p. 40). Marie-Madeleine elle-même, presque constamment décrite avec les cheveux longs et dénoués, est souvent représentée rousse, notamment depuis la Renaissance (André, 2007, pp. 48-49). Peintres, poètes, écrivains s’en sont inspirés ; comme par exemple Baudelaire et son poème « À une mendiante rousse ».

Mais la mangeuse d’hommes rousse tire aussi son origine de l’époque de l’Inquisition. Selon le Malleus Maleficarum, les sorcières (qui tout comme les prostituées, viennent détourner les hommes de Dieu) étaient reconnaissables à certaines marques déposées sur leurs corps par le diable après une initiation (André, 2007, pp. 42-45). On imagine facilement les taches de rousseurs correspondre à un tel critère. Si, à vrai dire, l’imaginaire bien fourni des sorcières rousses ne semble pas prouvable historiquement, il reste très présent dans les esprits. Pensez aux Weasley…

Le cliché de la femme de feu ne s’est par la suite jamais éteint, et il est aujourd’hui possible de jouer avec, car tout ce qui a attrait à une sexualité active et à un caractère indépendant est mieux accepté (…ou moins violemment réprimé). Pourtant, toutes les femmes n’ont pas la volonté de tenir telle image. C’est ainsi que Rita Hayworth, célèbre actrice et sex-symbol des années 1940, se retrouva piégée dans un rôle de femme fatale qui ne correspondait pas du tout à son caractère plutôt timide, et qui provoqua quelques débordements chez les militaires… (Fauche, 1997, p. 21)

De plus, les femmes naturellement rousses dont la peau est sujette aux rougeurs, peu à la mode, ne bénéficient pas toujours du bon côté du préjugé. Elles sont aussi régulièrement couvertes de taches de rousseurs, qui ont un charme certain pour beaucoup, mais qui peuvent tout de même être assez difficiles à porter. Spécialement dans un monde où le physique compte, surtout pour une femme.

Le lourd héritage des hommes

Si une femme peut choisir une teinte de roux, il n’en va quasiment jamais de même pour les hommes ; ce serait marque d’excentricité. Dans les représentations, le potentiel de séduction des hommes roux est quasi nul. Les préjugés les montrant soit colériques et pernicieux, soit faibles et grotesques, semblent inamovibles.

Tout commence en Egypte Ancienne. Seth, le dieu du chaos et de la tempête, colérique et irascible, est alors représenté avec la peau (et parfois les cheveux) rouge. Diodore, bien que se basant sur des rumeurs, avance qu’en injuriant les hommes roux, ou en sacrifiant des bêtes à poil roux, on cherchait à humilier la divinité (Diodorus, 2011, pp. 172-173). Par la suite, en Grèce et en Rome antique, le roux est considéré comme l’impureté qui vient briser le culte de la blondeur. Dès lors, en plus d’être considéré comme très laid, c’est parmi les roux que l’on choisissait les bouc-émissaires à martyriser. On s’en moquait entre autres abondamment dans les pièces de théâtre (André, 2007, pp. 24-26).

Apparaît ensuite la figure de Judas. Considéré comme traître, cupide, égoïste, menteur, il va de soi que Judas se doit d’être roux, et est représenté ainsi sur un grand nombre d’iconographies. Tous les traîtres et malhonnêtes deviennent alors roux (Fauche, 1997, p. 36), et il en va de même pour les créatures du diable (André, 2007, p. 51). Souvent associés à Judas par certains chrétiens, les Juifs sont eux aussi occasionnellement considérés comme roux, ou des roux comme juifs. Les Juifs étant déjà bouc-émissaires au Moyen-âge et le roux une couleur mal-aimée, leurs réputations respectives les tirent toujours plus en bas (André, 2007, pp. 53-54). Le préjugé évolue, dépeignant les hommes roux comme des personnes violentes, destructrices, constamment assimilées au sang. Lorsqu’un meurtre de sang était commis, le coupable était forcément un roux (d’ailleurs, il portait la marque du sang sur sa tête !).

La faute d’être roux

Il semblerait au final qu’une des principales fautes des roux comme des rousses soit d’avoir un quelconque lien avec le diable. Peut-être est-ce de là que vient la phrase « les roux n’ont pas d’âme » ? On disait aussi que les roux étaient emplis de soufre (Fauche, 1997, p. 36). Peut-être est-ce dû justement à ce lien avec l’enfer ? Peut-être est-ce aussi l’origine du mythe qui dit que les roux sentent mauvais ? Voilà au moins une accusation que les hommes et les femmes ont en commun.

Quelle est la faute du roux, en fin de compte ? D’être trop différent ? D’être trop fascinant ? Des adjectifs qui ne plaisent généralement pas aux pseudosciences, aux religions, aux superstitions, et engendrent peurs et rejets.

Les réseaux sociaux, souvent assez représentatifs lorsqu’il s’agit de discriminations, en témoignent. Au Canada, un groupe Facebook a par exemple fait son apparition il y a quelque temps, rassemblant plus de 5000 membres. Résultat : plusieurs attaques anti-roux et des centaines d’enfants ayant eu mal le jour du « coup de pied aux fesses des roux » (L’OBS, 2008). Les médias ne se sentent apparemment pas vraiment concernés par ce genre de discriminations, et pourtant beaucoup de gens en souffrent, notamment les enfants. En effet, telle la figure de Poil de Carotte, l’enfant non désiré, les enfants roux n’ont pas toujours la vie facile. Les moqueries sont courantes dans les cours d’école. Parfois aussi, l’arrivée d’un enfant aux cheveux roux « sorti de nulle part » (le gène peut en effet sauter jusqu’à trois générations) n’est pas toujours bien prise, surtout si les parents ont déjà des préjugés. Mais Poil de Carotte laisse aussi derrière lui une image plutôt positive de gamin espiègle et rusé, qui collera ensuite à la peau de tous les enfants roux. Fifi Brindassier et le petit Spirou l’ont entre autres portée.

Les moqueries laissent toujours une blessure un peu cachée, un malaise, un enfant qui pleure. Pourtant, après plusieurs siècles, on se moque toujours des roux parce qu’ils sont différents. Les individus sont victimes de la longue histoire qui les précède.

Afin de déconstruire les mythes entourant la rousseur, que ce soit la femme fatale et facile, l’homme colérique et bête ou le gamin espiègle et malhonnête, rendez-vous au festival des roux d’Irlande, qui rassemble souvent des milliers de personnes (ils ont un hymne, un roi des roux et une reine des rousses !).

Légende pour l’Image : The kiss of Judas

Références :

Bibliographie :

ANDRÉ, Valérie. Réflexions sur la question rousse. Paris: Tallandier, 2007.

DE SICILE, Diodore. Description de l’Égypte. Vols. Bibliothèque Historique, 1. Clermont-Ferrand: Paleo, 2011.

FAUCHE, Xavier. Roux et Rousse : un éclat très particulier. Paris: Gallimard, 1997.

PASTOUREAU, Michel, SIMONNET, Michel. Le petit livre des couleurs. Vols. Histoire, 377.

Pages Web :

OBS, 2008. Un appel anti-roux sur Facebook dégénère. L’OBS [en ligne]. 25 novembre 2008. [Consulté le 18 avril 2019]. Disponible à l’adresse :

http://tempsreel.nouvelobs.com/les-internets/20081124.OBS2465/un-appel-anti-roux-sur-facebook-degenere.html

 

Illustrations :

ALLPOSTER, s d. Marie Magdalena in the cave. AllPoster.fr [en ligne]. S. d. [6 mars 2016]. Disponible à l’adresse : http://www.allposters.fr/-sp/Mary-Magdalene-in-the-Cave-1876-Affiches_i3129493_.htm

EDELSEIDER, et al. 2016. File : Caspar Isenmann, Betrayal of Christ.jpg. Wikimedia Commons [en ligne]. 27 décembre 2008. 18 janvier 2016. [19 mars 2016]. Disponible à l’adresse : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Caspar_Isenmann,_Betrayal_of_Christ.jpg

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Interview avec l’AEA

Interview avec l’AEA

Avant de commencer cet interview, je tiens à remercier l’AEA et plus spécifiquement Wilfried et Jorel pour le temps qu’ils m’ont accordé afin de répondre à toutes ces questions.

« Je pense que le but premier était de pouvoir fédérer la communauté afro au sein de l’université. On a réalisé que lorsque vous constituez une minorité, le seul moyen de se faire voir, de se faire entendre, de se faire comprendre, c’est d’être ensemble. Si cela n’est pas fait, les minorités s’éteignent. »

A quel moment avez-vous décidé de créer votre association et dans quel but l’avez-vous fait ?

Jorel : Premièrement, il y avait déjà un besoin de représentativité parce qu’en arrivant à l’université, il y avait plusieurs choses qu’on ne savait pas. Il y a énormément de questions que l’on se pose et ce n’est pas toujours facile. D’une part car il y a beaucoup d’étudiants et, d’autre part, parce que tu es étranger. Moi, je n’ai pas toujours étudié en Suisse. Il y a donc toute cette machine à mettre en route et il n’y a pas d’instance qui nous permettait, de nous dire : je vais aller là parce que ça va faciliter mon intégration, parce qu’ils sauront répondre à nos questions. Il y avait déjà cette carence, cette lacune quand on arrivait sur le campus. C’est vrai que l’on s’est retrouvé à être plusieurs personnes – pour le coup afro-descendant-e-s – à avoir ce même problème. On s’est alors dit que ce serait quand même bien de faire quelque chose pour les futur-e-s étudiant-e-s.

Après, la vraie impulsion est née parce qu’il y avait aussi l’affaire du bal HEC qui avait fait un gros scandale. Cela avait amené plusieurs associations à se mobiliser pour dénoncer ce bal dont le thème tournait autour des guerriers massais. On n’a pas été déçus mais dubitatifs sur le fait qu’en tant qu’africains, ça aurait peut-être été plus légitime que nous prenions la parole. La cause défendue par les associations qui ont attaqué et dénoncé, cela était juste mais je trouvais qu’il y avait un manque de légitimité. Nous sommes également sur le campus, on est universitaires, on est africain-e-s mais ce sont d’autres associations qui sont en train de faire les choses alors qu’on était bien sûr les plus touchés par cela. Suite à cela, on s’est mis d’accord sur le fait qu’il fallait créer l’AEA.

Wilfried : Pour rajouter quelque chose, je pense que le but premier était de pouvoir fédérer la communauté afro au sein de l’université. On a réalisé que lorsque vous constituez une minorité, le seul moyen de se faire voir, de se faire entendre, de se faire comprendre, c’est d’être ensemble. Si cela n’est pas fait, les minorités s’éteignent. Ça c’est le but premier de l’association. Le but plus large, plus global, c’est qu’il est important de connaitre et faire connaitre nos cultures, nos richesses et tout ce que l’on peut avoir chez nous. Je dis connaitre car même nous-même on ne connait pas tout. Certains ont eu la chance de côtoyer leur culture, d’autres non. Ceux qui ont eu la chance de connaitre la culture de leur pays ne connaissent pas celle du pays voisin. L’association des afro-descendant-e-s est formée de multiples nationalités. On se dit afro-descendant-e-s et pas juste africain-e-s parce qu’on a des afro-brésilen-ne-s, afros-colombien-ne-s, des haïtien-ne-s, etc. Vis-à-vis de cela, on s’est dit que ça pouvait être intéressant, pour nous et pour d’autres personnes qui ne sont pas afro-descendant-e-s, de connaitre et faire connaitre nos cultures. Voilà plus ou moins les deux buts essentiels pour lesquels on a décidé de former l’association.

Est-ce que vous êtes vous-mêmes en lien avec d’autres associations en Suisse et au niveau international qui prônent les mêmes valeurs que vous, qui sont formées des mêmes personnes ?

Wilfried : Un concours de circonstances a fait qu’on a pu côtoyer des organisations internationales avec lesquelles on est en train d’organiser des collaborations formelles. Il y a notamment une association qui s’appelle l’Union panafricaine de la jeunesse. Cette dernière existe au niveau international et collabore notamment avec l’Union africaine, donc les Etats africains. On a commencé à parler d’un projet de collaboration avec eux car on s’est dit que leur combat était bien mais il n’incluait pas la diaspora. On essaie de leur apporter une plus-value et de voir s’ils peuvent inclure toutes les jeunesses de la diaspora. Il y a aussi le CIPINA (Centre d’information et de promotion intégral d’une nouvelle Afrique) qui est une association basée ici et qui a pour mission de promouvoir une image positive de l’Afrique. Ils ont notamment organisé le LAF (Lausanne Afro Fusion). On a commencé à collaborer avec eux depuis l’année passée et chaque année on essaie de participer à ce festival. Ce n’est qu’avec ces deux associations que l’on travaille concrètement mais c’est vrai qu’il y a encore d’autres projets en cours.

Quelles activités avez-vous organisées en tant qu’association ?

Jorel : On compte mettre en avant la promotion d’une nouvelle Afrique et la promotion de l’Afro-descendance. Ceci va être fait par le biais des conférences, des débats, des fêtes, etc. Tout cela aura pour but le partage parce qu’il y a une chose importante à signaler : l’afro-descendance n’enlève rien à l’identité nationale. L’un n’empêche pas l’autre parce qu’on peut être, typiquement, à la fois afro-descendant-e et suisse-sse. On peut parfaitement vivre en cohésion avec les deux identités sans que l’une n’empiète sur l’autre. Je pense que c’est vraiment sur ces pôles-là que notre association doit avoir un apport.

Wilfried : Je rajouterai encore que, par rapport aux activités, on a plusieurs départements dont notamment les départements events, conférence, communication. On a déjà organisé un certain nombre de conférences, notamment, avec l’activiste colombienne Francia Márquez. Elle est venue parler de la situation des afro-descendant-e-s dans son pays et de la gestion de l’Etat vis-à-vis de cette population. Maintenant on a encore beaucoup de projets de conférences dont une sur les violences policières ou encore sur le délit de faciès. A côté de ça, il y aussi le département events qui organise plus des choses culturelles ou des soirées. On peut prendre l’exemple de la dernière soirée afro-beats. Des soirées qui peuvent promouvoir la musique de chez nous. On organisera par la suite des journées culturelles, des événements pour montrer la nourriture de chez nous, etc.

Jorel : Souvent, ce qui est montré est normalisé. Une fois on m’avait posé cette question ; « mais ça ressemble à quoi l’Afrique ? » J’ai répondu qu’ici vous vous baladez avec des chiens mais nous on se balade avec des lions. C’est bien sûr ironique mais c’est pour dire qu’il y a quand même des choses à faire.

Venons-en au sujet des discriminations. A quel point sont-elles encore présentes dans les études et le marché du travail ? Quelle est votre analyse par rapport à ça ?

Wilfried : Personnellement, ce que je sais est lié à des retours d’expériences de personnes. Certaines ont par exemple eu des entretiens au téléphone qui se sont bien passés mais le jour où elles sont arrivées au bureau et que le patron a vu leur tête, on a tout de suite trouvé d’autres choses à leur reprocher. J’ai vraiment beaucoup de retours d’expériences mais je n’ai pas personnellement vécu de discriminations dans le travail ou à l’école. Je pense que j’ai assez de chance par rapport à ça mais ces retours te font comprendre que cela existe. Je lisais récemment un article qui disait, qu’en Suisse, plus de la majorité des personnes peuvent te dire ce qu’est une discrimination raciale, mais pour elles c’est un problème mineur. Les discriminations existent dans le marché du travail, elles existent dans le cadre universitaire mais il n’y a rien qui soit vraiment fait pour que les choses changent. On est conscient et on a l’impression que le fait de savoir qu’il y a un problème est suffisant. Voilà mon ressenti personnel.

Jorel : Pour reprendre l’exemple du marché du travail, si on regarde au niveau global, on peut être naturalisé suisse qu’au bout de 10 ans. Je connais beaucoup de personnes qui sont nées en Suisse mais qui ne sont pas suisses. Quand on se rend sur des sites d’offres d’emplois, très souvent il est demandé que la personne qui veut postuler possède la nationalité suisse ou détienne un permis C. Cela veut dire qu’il y a déjà une classification à ce stade. C’est très dérangeant parce qu’on se dit que j’ai pu faire ma scolarité en Suisse mais qu’il y aura déjà une hiérarchie éliminatoire au moment où j’arriverai sur le marché du travail. Typiquement, je suis en Suisse depuis 2005 et j’ai donc déjà vécu plus de temps en Suisse que je n’en ai vécu au Cameroun. Cela fait de moi un Suisse finalement mais je ne suis pas officiellement reconnu comme tel. Cela veut dire que le jour où je serais amené à me lancer sur le marché du travail, je vais déjà être catégorisé comme étranger. Cela fera que je serais déjà, quelque part, éliminé. Il y a ce genre de discriminations qui sont aujourd’hui normalisées et on se dit que ce n’est pas normal. La personne ayant le passeport rouge vaudrait donc plus que celle qui y est née mais sans passeport et ce sous prétexte qu’elle est étrangère. Tout cela alors que l’on fréquente les mêmes écoles, les mêmes milieux et on a les mêmes vies ou encore les mêmes âges. Il y a quelque chose de dérangeant par rapport à ça.

Si on reprend maintenant l’exemple universitaire, il y a souvent des commentaires qui reviennent notamment sur Jodel. Il arrive que des personnes y fassent des blagues racistes. La chose la plus récente que j’ai lue était une blague raciste disant « S’il a le profil d’un singe, c’est comme ça que l’on reconnait que c’est un Africain ». Cela se trouve sur Jodel. Ça signifie qu’il y a des instances comme ça, que ce soit dans le milieu du travail ou universitaire ou il y a vraiment une très forte présence de racisme. C’est justement à ce moment-là que l’AEA est importante. Je pense qu’en dehors de l’université, il en existe des associations dont on connait d’ailleurs le travail. On sait ce qu’elles accomplissent pour dénoncer le racisme en dehors du monde universitaire mais à l’interne, ces problèmes existent également et il faut les dénoncer. Comment ? Cela je ne le sais pas. C’est justement des choses dont il faut discuter. A notre échelle, on ne peut pas avoir un pouvoir extrêmement important mais on peut déjà pointer du doigt ce genre de petits malaises, de petits maux qui font que dans le milieu académique, on ne se reconnait parfois plus. En réalité, je ne sais pas qui écrit sur Jodel, car c’est sous anonymat mais la personne à côté de moi peut très bien être l’auteur de ce commentaire. C’est quand même fou d’avoir ce sentiment au quotidien. C’est encore présent, très et trop présent et c’est pour ça qu’il y a vraiment un travail considérable à faire à ce niveau.

A présent, que faut-il faire, selon vous, lorsque l’on se retrouve face à une situation de discrimination notamment dans le milieu scolaire et que ce soit vis-à-vis d’autres étudiant-e-s ou du corps enseignant ?

Jorel : Il y a beaucoup de choses à dire à ce niveau. D’abord, ce que je dois relever, c’est qu’en arrivant à l’université, c’est un problème auquel on n’est moins confronté, notamment vis-à-vis des professeurs. S’ils en sont là, à ce poste, c’est déjà car ils savent faire la part des choses et puis ils se dissocient aussi des erreurs qui ont pu être commises dans une échelle antérieure. Typiquement, à l’école obligatoire et au gymnase, je me souviens d’un moment juste après mon arrivée en Suisse. Durant un cours de géographie, ma professeure a dit ; « Oui mais est-ce que tu es quand même conscient que maintenant tu as de la chance d’être en Suisse ? En Afrique vous étiez cent par classe et maintenant vous êtes vingt ». Je ne sais pas pourquoi elle a placé ce commentaire. C’était quand même quelque chose d’assez hard mais je pense qu’elle ne s’est pas rendue compte de l’ampleur que ça avait. Elle s’est peut-être dit que c’était pour me remettre en question parce que j’avais peut-être fait une bêtise ou j’avais eu un comportement qui n’était pas adéquat. Néanmoins, quelque part elle était en train de me faire clairement comprendre que j’étais africain, que j’avais de la chance d’être là et puis que je suis quelqu’un de « privilégié ». Je pense que je le suis effectivement mais ses propos n’étaient pas adéquats. En ayant grandi, je retrouvais, dans mon parcours académique, ce genre de commentaires. Donc on appuie à chaque fois sur cette africanité qui fait en sorte que tu dois toujours avoir le comportement adéquat parce que tu es africain. La personne blanche n’a pas à se soucier de ça mais toi oui parce que tu es africain.

Ce que l’on peut faire par rapport à ça ? Je n’ai pas la réponse parce que je me demande encore comment on peut encore devoir lutter contre cela aujourd’hui. Je pense que ça devrait être à l’UNIL de le dénoncer dans un premier temps. Je pense aussi qu’il y a un travail qui doit être fait plus haut. Si les enseignants répètent ce genre de comportements encore aujourd’hui, c’est quand même problématique. Je pense d’ailleurs que je ne suis pas le seul qui ait vécu ça. Après – et une fois de plus — en arrivant à l’université, dans des amphis comptant je ne sais combien de personnes, on voit que le professeur donne son cours et ne se soucie pas vraiment de faire des commentaires aux étudiants. A l’école obligatoire, ça existe encore beaucoup. J’ai des petits cousins ainsi que des amis qui m’ont témoigné exactement les mêmes choses que j’ai vécu et même parfois à des niveaux plus graves. Quand je faisais du foot, des gens me disaient aussi « Jorel, t’es pas au Cameroun ici, il ne faut pas faire ça » parce que j’avais pris la balle et que j’avais dribblé trois joueurs. Tu ne peux pas faire un lien avec le Cameroun à cause du fait que j’ai dribblé trois joueurs et que je n’ai pas lâché le ballon assez vite. Il y a des commentaires qu’on sort sans se rendre compte de l’ampleur que ça peut prendre. Je ne sais pas à quoi c’est dû, je ne sais pas si c’est des personnes qui sont racistes. Je ne peux pas dire qu’elles le sont mais qu’elles ont des commentaires qui, eux, le sont. J’ai été très marqué par ça. Il faut dénoncer ces actes mais après je ne sais pas par le biais de quelle instance. Je ne sais pas s’il faut saisir la justice. Il faut juste, dans un premier temps, faire comprendre que ça ne joue pas. Il faut faire comprendre qu’il y a des choses à ne pas dire et que si ça se dit, ça peut être puni. Le processus serait déjà de dénoncer et ensuite de mettre quelque chose en place.

Wilfried : En réalité, je ne sais pas s’il existe une bonne réaction ou une bonne méthode, à notre niveau, pour pouvoir gérer ça. Moi je me rappelle qu’il y a quelques temps, j’expliquais dans le groupe WhatsApp de l’AEA un événement qui m’était arrivé dans le bus. Un monsieur m’a regardé de travers et m’a dit « J’ai vu comment tu m’as regardé sale dealeur de merde ». Il commençait à gueuler toujours plus fort. Après ça, il est descendu du bus mais avant qu’il descende, je lui avais juste dit « je ne suis pas un dealeur mais un étudiant. » Je lui ai dit que je ne vais pas chercher de la drogue mais je vais écrire mon mémoire. En expliquant ça dans le groupe, certains m’ont dit que j’avais super bien réagi en prenant juste de la hauteur dans le débat et de ne pas m’être emporté. D’autres ont dit qu’il fallait porter plainte et d’autres m’ont encore dit qu’il fallait un peu m’énerver. Il n’y avait pas de réponses fausses et c’est là que tu te demandes s’il existe une bonne réaction par rapport à tout ça. Est-ce qu’il y a une bonne manière de gérer la chose ? Je ne sais pas. Dans tous les cas, on est tous d’accord qu’il faut dénoncer mais après sur la question de la réaction directe, je ne sais pas s’il y a une manière de faire qui soit meilleure qu’une autre. Chacun essaie de gérer la chose mais dans tous les cas, répondre à la violence par la violence, ce n’est pas la solution. Si on peut prendre de la hauteur sur la chose, c’est une bonne chose. Si on peut dépasser ça et montrer que l’on n’est pas ce qu’on pense que l’on est, c’est également une bonne chose. Comment le faire ? On n’a malheureusement pas encore trouvé la solution mais ça reste quelque chose d’assez délicat. Le moyen que l’on a aujourd’hui à disposition, c’est principalement notre parole. Il faut essayer de faire comprendre les choses aux gens. Il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas racistes mais qui n’y pensent pas plus que ça car elles n’y sont pas confrontées. Il faudrait alors mettre en lumière ce problème et montrer à ces gens que ça existe bel et bien. Peut-être que ça pourrait permettre à plus de personnes de s’engager dans le combat. En réalité, tout le monde sait que le racisme existe mais quand on n’y est pas confronté, on n’y pense pas forcément. Il faut sensibiliser les gens au fait que ça existe près d’eux et cela chaque jour. Vous ne le ressentez peut-être pas mais c’est un combat qui mérite d’être combattu. C’est un peu comme quand on parle de famine dans des pays ou d’autres choses. Ce n’est pas parce tu manges mieux que d’autres que tu ne dois pas penser à ces problèmes qui existent à côté de toi. Je pense que notre vraie mission, notre seul moyen de lutter contre ça, c’est de mettre en lumière les problèmes qu’il y a. C’est attirer les projecteurs sur ça et espérer que ça crée un déclic dans les consciences, dans les esprits, pour que tous se lèvent car il faut se lever.

Jorel : Revenons un peu sur la Constitution parce que c’est vrai que la discrimination en Suisse est traitée d’une manière biaisée. Je trouve dommage parce que lorsqu’on regarde dans la Constitution, il y a bien un article qui mentionne que toutes discriminations sont interdites mais si on regarde les choses avec précision, on se rend compte que certains actes ne sont pas compris comme de la discrimination. Ils sont parfois placés dans d’autres catégories. Déjà là c’est quelque chose de dérangeant. Ça veut dire que déjà au niveau de la Constitution ce n’est pas tout à fait clair. Nous, quand on subit des injustices, on peut s’appuyer soit sur la Constitution ou la loi soit sur la charte fondamentale des droits de l’homme. Dans ces trois choses, on ne s’y retrouve pas car il n’y a souvent rien de bien précis. Il y a donc des précisions qu’il faut apporter de manière considérable à ces différents niveaux afin de punir ce type d’actes. Si ces derniers ne sont pas punis, c’est parce qu’il y a toujours cette marge d’interprétation. La Constitution, la loi, ne devraient pas permettre cette marge. Tout acte raciste ou autre devrait être puni. Si on en est là aujourd’hui, à voir certains commentaires et certaines personnes qui se permettent certaines paroles, c’est parce qu’elles savent qu’il n’y aura pas de répercussions.

Pour vous, la place des afro-descendant-e-s dans le marché du travail, notamment, a-t-elle quand même évoluée par rapport au passé ?

Wilfried : Forcément que par rapport au passé on est aujourd’hui dans une meilleure situation. Est-ce que c’est un niveau suffisant ? Ça c’est une autre question. Ce n’est pas parce que c’est mieux que c’est suffisant. Ce n’est pas parce que c’est mieux que c’est bien. Aujourd’hui, la situation des afro-descendant-e-s – en Suisse en tout cas et en comparaison avec d’autres pays voisins – est presque une banalité. Les problèmes qui y sont liés sont presque marginalisés. Ici, il y a des choses permises alors que dans d’autres pays les gens ne se permettraient pas de faire pareil. En Suisse, on fait un peu les aveugles sur la question et, de ce fait, les afro-descendant-e-s sont presque livré-e-s à eux-mêmes. Ils doivent assumer seuls leur réalité de tous les jours et ils ont presque, et cela est malheureux, accepté cette situation-là. C’est un tort partagé. Quand je parle de personnes endormies, je ne parle pas que des autres mais aussi de nous. Je pense que les afro-descendant-e-s, en Suisse, devraient plus se mobiliser, plus s’organiser et ce, surtout pour mettre en lumière nos problèmes. Je ne dis pas que ça va tout régler mais au moins on sera organisé et au moins on saura qu’on peut se reposer sur quelque chose. Je trouve qu’en Suisse, comparé à d’autres pays, on est, tous les afro-descendants et afro-descendantes, trop endormi-e-s sur la question.

Jorel : Concernant toujours la situation des afro-descendant-e-s en Suisse, il y a quelque chose de pas normal. Ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas citer un afro-descendant qui soit au parlement suisse. Une personne me vient en tête, c’est le directeur général de Crédit Suisse et sinon je n’arriverais pas à donner une autre personnalité qui soit forte et qui appartienne à la population des afro-descendants. Est-ce que c’est un problème de compétences, est-ce que c’est un problème de représentativité, est-ce que c’est un problème de nombre ? On ne sait pas mais une chose est sûre, c’est que je ne pense pas que ce soit un problème de compétences. Si on regarde à l’université, il y a des afro-descendant-e-s dans tous les pôles. Le problème ne vient donc pas de là. La question qu’on devrait vraiment se poser, c’est pourquoi on n’est pas assez visibles dans certains postes ou à certains endroits. C’est cette question qui devrait vraiment être posée à toutes les instances ou à la société.

Quelles sont les valeurs défendues par votre association ?

Wilfried : En général, le partage et le vivre ensemble. Je pense que ça résume presque tout ce qu’on a dit aujourd’hui. Partager, apprendre de l’autre et comprendre cette nécessité de vivre ensemble, bien en harmonie, pour être plus représentatif de la société d’aujourd’hui.

Jorel : Pour définir vraiment l’AEA, je dirais qu’on veut montrer qu’il est possible de vivre son africanité, son afro-descendance, tout en étant associé avec notre identité. L’un n’empêche pas l’autre. C’est important de pointer du doigt qu’un-e noir-e peut aussi bien être suisse et qu’un-e suisse peut être noir-e et que ce n’est pas l’un-e qui prend le dessus. Il faut que la société l’accepte. Ce n’est plus comme à l’époque où un français ne devait être que français ou un suisse ne devait être que suisse. Maintenant cela n’existe plus. On est dans l’ère de la mondialisation et il faut que la société s’y fasse.

Souhaitez-vous encore dire quelque chose qui n’a pas été évoqué ?

Jorel : Je voulais juste encore dire que les gens peuvent nous joindre sur Facebook sur la page de l’AEA UNIL/EPFL ainsi que sur notre page Instagram. On n’a pas encore de compte Twitter mais étant donné qu’on est assez actif sur Facebook, vous y trouverez toutes les informations liées à notre association. On est ouvert également à tout débat, à toute conférence. On n’est pas une association fermée. Ce n’est pas parce qu’on se revendique comme afro-descendant-e-s qu’on accepte que les afro-descendant-e-s. Il y a aussi une instance qu’on a créée se nommant « les ami-e-s de l’AEA ». Cette dernière permet à toute personne de nous rejoindre.

Si vous souhaitez rejoindre l’AEA ou si vous avez des questions à leurs adresser, vous pouvez toujours les contacter à l’adresse suivante : associationaeaunil@gmail.com ainsi que sur leur page Facebook : https://www.facebook.com/associationaeaunil/

Luca Crausaz

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Mañana en el Abasto

Mañana en el Abasto est une chanson écrite et enregistrée par Luca Prodan et son groupe Sumo. Malgré son statut d’hymne du rock argentin, Mañana en el Abasto est une chanson encore mal connue en dehors de ce pays. Pourtant, elle possède toutes les qualités pour en faire un véritable mythe musical. Il s’agit d’ailleurs là de la dernière chanson enregistrée par le groupe Sumo et Luca Prodan, leur chanteur au statut de héros tragique qui mourrait quelques mois plus tard. L’histoire de Prodan en elle-même est une histoire digne des pages de “Rolling Stone”, un chanteur et écrivain italien arrivé à Buenos Aires en 1982 et qui a habité dans le quartier de l’Abasto pendant les dernières années de sa vie. Un quartier qui reflétait les changements dans le pays mais aussi la fin d’une ère, la métaphore parfaite pour la vie de Prodan. Le quartier, désormais un des plus chics de Buenos Aires, doit son nom au marché qui s’y trouvait depuis 1893 et qui a fermé ses portes en 1984. Suite à cette fermeture, les conditions de vie dans ce quartier se sont énormément détériorées et celui-ci est devenu un synonyme de pauvreté, de trafic de drogues et d’habitations occupées par des squatteurs. C’est ce contexte que la chanson tente de transmettre, un univers de transition économique forcée.

Le thème de la pauvreté et l’image d’un mauvais quartier sont omniprésents dans la chanson. La fille qui a peur en passant par ce quartier, les bars fermés et vides ainsi que le trottoir mal entretenu et peuplé par des gens qui ne savent pas où aller. L’auteur présente sa promenade dans le quartier comme une véritable descente aux enfers, en commençant par sa descente de son appartement à la rue puis sa descente dans le tunnel pour prendre le métro en répétant qu’il est sous terre et qu’il s’éloigne du ciel. A ce moment, Prodan et l’Abasto deviennent la même chose, des victimes d’une transition forcée vers la mort, ou du moins vers le changement incertain dans le cas du quartier.

Malgré ce pessimisme, le passé brillant du quartier transparaît tout de même dans cette chanson. Le chanteur fait référence à l’arrêt de métro Carlos Gardel, une icône de la musique argentine qui avait habité dans le quartier durant les années 30. Les tomates qui pourrissent laissent aussi entrevoir le passé du quartier comme le centre des activités commerciales de la ville, mais elles font aussi référence à la dégradation du quartier suite à la fermeture du marché.

Mañana en el Abasto capture un moment précis dans le temps, le moment de vide avant la reconversion d’un espace. Peu de temps après la parution de l’album de Sumo, le processus de gentrification avait commencé, et le moment perdu à jamais. Le bâtiment de l’Abasto a été racheté par George Soros et celui-ci est devenu un centre commercial de grandes marques. L’Abasto est ainsi devenu un quartier artistique et riche avec une multitude de théâtres et des bars qui ont ré-ouvert leurs portes.

Luca Prodan n’était plus là, il ne restait que son image, gravée à jamais dans l’esprit des argentins. Ses personnages, ont, eux aussi, probablement disparu du quartier de l’Abasto, car le processus de reconstruction ne peut pas bénéficier à tout le monde. On comprend que la gentrification n’est pas toujours évidente quand on vit dans un quartier en reconstruction et que si celle-ci peut faire revivre un espace, les habitants qui l’occupent ne seront jamais les mêmes.

Michelle Olguin

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Nina Simone (3/3)

« All I want is equality »

Quand Nina Simone chante contre les discriminations (1959-1970) [3/3]

Par Noé Rouget

3.     Réagir aux événements et dénoncer les attaques contre le mouvement

L’exemple le plus flagrant de l’attention que peuvent porter ces chanteuses au mouvement se trouve dans les reprises que Nina Simone fait de la chanson de Bob Dylan « The Times They Are A-Changin’ » et celle de Billy Taylor « I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free ». Ces deux chants sont repris par le mouvement comme des hymnes lors des manifestations, marches et autres concerts organisés par les activistes. Mais les chanteuses réagissent aussi plus directement aux événements qui rythment la lutte pour les droits civiques, l’exemple le plus connu en est « Mississippi Goddam ».