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Journalisme

Opération gilets jaunes

Par Chiara Caccivio

Samedi 17 novembre ravive les émois révolutionnaires historiques français. Effectivement, plusieurs manifestations se préparent, instaurant une atmosphère d’inquiétude passablement prononcée au sein des autorités qui redoutent avant tout une ampleur bien plus grande qu’initialement escomptée.

Mais qui sont les gilets jaunes ?

Depuis quelques semaines, une colère affirmée s’élève chez les automobilistes. Le fondement de cette instabilité tient incontestablement en la hausse des prix des carburants qui ont pris leur envol dans les stations-services, mais permet de faire émerger d’autres sujets conflictuels instaurés par le gouvernement macronniste.

Les poudres s’embrasent d’autant plus que le pouvoir exécutif annonçait récemment vouloir augmenter les taxes sur l’essence et le diesel en 2019 dans l’optique de financer la transition écologique. En réponse à ces intentions, l’essaim révolté s’organise en communauté soudée dans l’adversité et prépare un blocage des grands axes routiers dans tout l’hexagone.

Les revendications

Dépourvus de cellule présidentielle ou d’une quelconque hiérarchie, les gilets jaunes sont une communauté hétérogène qui poursuit le vœu de ne pas se rattacher à un syndicat ou un parti politisé. Cette « confrérie », en plus d’être opposée drastiquement à la hausse du carburant, témoigne également d’un profond ras-le-bol fiscal.

Alexis Spire, directeur de recherche au CNRS et auteur de « Résistance à l’impôt »,

se confiait à l’agence France-Presse « la question des carburants est juste un déclencheur. Elle traduit un problème plus profond vis-à-vis de l’impôt : ces dernières années, quelque chose s’est grippée dans le rapport à la fiscalité, principalement chez les classes populaires. Cette contestation de l’impôt est aussi un révélateur des fractures de la société française »

Certes les revendications des gilets jaunes perdurent dans une brume confuse, or certaines pourtant semblent se hisser hors du brouillard et revenir de façon répétitive sur le devant de la scène publique.

Si l’assimilation aux bonnets rouges, l’emblème de ralliement des opposants aux mesures fiscales relatives à la pollution des véhicules de transport de marchandise et aux nombreux plans sociaux de l’agroalimentaire en Bretagne en 2013 tiendrait en une erreur, il résulte justement de la pluralité des revendications annoncées.

Le gouvernement divise, écartèle la population du continent. Les partisans du mouvement détiennent les mêmes constats accablants que la fraction de la population en désaccord avec le président. « Gaz ou électricité, frais bancaires ou domestiques, tout est taxé. On étouffe » des acclamations scandées par la foule en liesse fluorescente. Jacqueline Mouraud, accordéoniste et emblème du mouvement suite à une vidéo revendicatrice postée sur Facebook, criait sur Paris Première « Les français d’en bas, qu’on ne regarde pas, veulent vivre dignement de ce qu’ils gagnent. Aujourd’hui, on ne vit plus de notre travail(…) On va travailler, on rend plus que ce qu’on gagne. On nous reprend absolument tout. »

L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par le gouvernement en octobre 2017, constitue une seconde distorsion d’opinion des gilets jaunes et une fois encore l’alsacienne s’en faisait la porte-parole sur le plateau de C à vous.  « Il laisse un goût amer et amplifie le sentiment d’abandon gouvernementale dont les classes populaires s’affirment sujettes. La seule chose qui pourrait aujourd’hui apaiser la colère immense qu’il y a dans ce pays, c’est qu’ils rétablissent l’ISF. Il n’y a que ça. Emmanuel Macron a fait des petits cadeaux aux milliardaires mais nous, on en a pris plein la poire. Nous sommes de plus en plus précaires. Où va-t-on ? » déclamait -elle.

Bien sûr, dans le champ politique, les partis lésés lors de l’élection présidentielle ne se privent pas pour accentuer les failles du gouvernement. François Ruffin, député de La France insoumise dans la Somme interpellait l’Élysée au sujet du poids des taxations sur les ménages modestes en scandant à plusieurs reprises « Rendez l’ISF d’abord » !

Une ultime préoccupation des manifestants réside dans la hausse de 1,7 point de la CSG. Cet impôt assis sur l’ensemble des revenus personnels des citoyens résidant sur le territoire définit déjà une lourde charge pour les retraités particulièrement et l’augmentation annoncée n’aspire pas à être compensée, même si le gouvernement a fait un geste fiscal pour 300’000 d’entre eux en septembre dernier. « Les retraités sont de plus en plus minables » : une phrase que nous retrouvions sur les panneaux des barricades.

Retenons encore que de nombreux agents du service public planifient de rejoindre le mouvement pour agir en faveur de la préservation de leur domaine. Pour l’illustrer, prenons les avocats de Limoges qui ont annoncés sur Twitter vouloir enfiler le  « costume ».

Pourquoi donc les prix des carburants augmentent ils ?

Il existe trois facteurs essentiels, liés à l’évolutions croissante du prix de l’essence à la pompe. Premièrement, le taux de change euro/dollar influe énormément. En effet plus l’euro est faible en rapport à la devise américaine plus la facture pour les consommateurs est lourde. Secondairement, le prix du baril de pétrole a grimpé de 70 à 80 dollars en l’espace de deux mois, de mars à mai 2018. Puis finalement les taxes gouvernementales sur l’essence s’alourdissant depuis le début de l’année témoigne d’une volonté gouvernementale d’aligner le prix du gasoil à celui du sans plomb, la résultante inévitable se matérialise en un fort impact sur le prix à la pompe.

Ainsi ces trois éléments corrélés permettent d’expliciter cette montée des coûts.

Le mouvement est-il politique ?

Fabien Buhler, protagonistes du mouvement sur les réseaux sociaux et acolyte de          Nicolas Dupont-Aignan au sein du parti Debout la France se décrit comme un élément de la Patriosphère. Volontairement orphelin d’une assimilation politique, le mouvement a cependant reçu le soutien de plusieurs figures importantes du tableau idéologique français. Marine Le Pen déclarait fin octobre sur Europe 1 « L’ensemble de nos élus et délégués départementaux, de nos fédérations, rejoindront la contestation qui est en train d’émerger . A contrario, Les Républicains et le PS se tiennent en retrait prononcé avec cette journée d’actions. Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a dénoncé une instrumentalisation de la manifestation du 17 novembre par l’extrême droite. Concernant la position de la France insoumise cette fois-ci, elle ne statue pas de manière nette et précise. Jean-Luc Mélenchon, à Lille, légitimait la colère des automobilistes par les termes justes et dignes mais redoutait la présence des fachos au sein du mouvement.

Point le dimanche 18 novembre.

Au lendemain de la mobilisation, l’heure de faire le point sur la veille s’impose

  • Ce sont près de 283’000 personnes qui protestèrent, rassemblées en groupes plus ou moins conséquents au sein des 2000 manifestations parsemant le pays
  • Un mort est à déploré et 227 blessés durent bénéficier de soins hospitaliers, sans compter les sept personnes dans un état particulièrement inquiétant selon le personnel soignant.
  • 117 interpellations ainsi que 73 gardes à vues selon le ministre de l’Intérieur.
  • Les plus téméraires poursuivent, en ce dimanche 18 novembre, les barrages les plus conséquents, dans le Pas-de-Calais ou sur l’autoroute A7 à la hauteur d’orange par exemple.

Les gilets jaunes n’ont pas réussi à bloquer la France à la hauteur de leurs intentions mais l’ensemble du territoire fut touché par leurs actions, ce qui représente, pour les partisans, un point non négligeable et un véritable acquis pour ce mouvement issu des réseaux sociaux et détaché de tout appariement à un parti ou un syndicat.

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