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La chute de Raqqa ou la fin du rêve de Daesh ?

En octobre dernier, l’organisation Etat Islamique a vu la perte de sa capitale Raqqa. Cette défaite est, sur plusieurs points, un coup dur pour le califat. Non seulement pour le moral de ses dernières troupes, par la portée symbolique de la défaite, et de part l’importance géographique de cette ville maintenant « fantôme » dans la région pour ISIS.

Rappelons en effet que Daesh a réalisé sa fortune financière en grande partie grâce au commerce du pétrole. Or, depuis l’intervention russe à partir de fin 2015 et sous les bombardements constants par la voie des airs, l’EI a vu sa production d’or noir baisser en partie et l’acheminement des cargaisons de contrebande mis en difficulté notoire du fait des attaques constantes de l’aviation russe contre les convois de Daesh en direction de la Turquie et contre ces puits pétrolifères et gaziers dans l’est de la Syrie. De plus, la contre-attaque générale des peshmergas kurdes a accru le retrait des forces djihadistes en direction du sud, accentuant le problème de l’acheminement du « gagne-pain » de l’EI vers le nord. La perte de Raqqa ne fait donc qu’ajouter à ces difficultés croissantes et contraint ISIS à se retirer dans la province de Deir ez-Zor et dans le désert de l’est syrien. Privé de ses moyens d’approvisionnements financiers, qui rapportaient à l’organisation près de 1 million de dollars par jour[1], l’EI se retrouve face au dilemme suivant : une perte de capital conséquente et donc par là un accroissement des problèmes internes de l’organisation, soit de moins grandes possibilités d’approvisionnements, déjà présent suite aux revers de Daesh en Irak et son retrait des zones fertiles de l’Euphrate et du Tigre avec la perte de Mossoul notamment en 2016, qui vont se répercuter sur la population sous contrôle d’ISIS. A cela s’ajoute un risque d’augmentation des défections dans les rangs des forces djihadistes, dues aux pertes de moral et aux restrictions financières, et également à une perte symbolique importante pour l’EI du fait de la chute progressive de son capital financier mis en avant notamment dans la propagande mise en place par Daesh.

La fin du rêve du califat ?

Suite à la défaite cinglante de l’EI à Raqqa, la presse internationale s’est tout de suite lancée dans des grandes dissertations sur la chute finale d’ISIS, nouvelles propagées sur instigation des assaillants peshmergas, des forces syriennes et relayées à l’est par les forces irakiennes, aussi en marge de l’écrasement final des forces djihadistes dans leurs derniers bastions de la province d’Al-Anbar, la prise de la capitale de Daesh marquant le point d’orgue de la fin définitive du califat. Mais peut-on vraiment affirmer cela ? Objectivement, il faut également considérer que, d’un point de vue géographique, ISIS ne se situe pas uniquement en Syrie et en Irak. En effet, des cellules djihadistes affiliées à l’EI existent ailleurs, au Yémen et en Afghanistan par exemple, mais aussi en Afrique. Il est aussi à noter que des organisations comme Boko Haram dans la Sahel ou les Shebabs en Somalie peuvent constituer en des points de ralliements pour les dernières forces de l’Etat Islamique. Ces nouvelles positivistes propagées par la presse sont destinées certainement à formater l’opinion publique et à rassurer les populations. « L’ennemi est vaincu ! » : tel est le message qui est transmis. Mais, est-il si facile d’écraser un éléphant qui peut se transformer en punaise ? Daesh s’est construit sur la base d’un califat avec des institutions politiques, sociales, économiques et sur un message religieux. Mais il est à rappeler que l’organisation est née bien avant l’établissement du califat, dans les sillons de la guerre contre Sadam Hussein en Irak en 2003. Ayant évolué dans l’ombre pendant près d’une décénnie, Daesh pourrait très bien y retourner et devenir une organisation sur le modèle d’Al-Qaïda… Et malgré tout, même sans état, le message de l’EI, le message de la guerre sainte contre les infidèles, peut survivre à la destruction des institutions étatiques d’ISIS. S’il est aisé de détruire une organisation physique, une idée, elle, n’est pas simple à éradiquer.

Les combattants de l’EI : que deviennent-ils ?

Parlons notamment des près de 40’000 combattants étrangers qui se sont engagés sous les couleurs de l’EI. Ils l’ont fait car ils ont cru à une mission presque divine de purification du monde, construction basée autour de la naissance du califat. Mais la destruction de celui-ci ne signifie pas pour autant que ceux-ci vont rentrer chez eux à leur vie d’avant. Il se pourrait en effet qu’ils perpétuent le message de Daesh dans une guérilla terroriste sévère. De plus,  il est à noter que les états occidentaux ont peu intérêts à voir ces combattants, considérés comme dangereux et extrêmes, rentrer en Europe ou dans le reste du monde occidental. Cette politique du « non-retour » ne pourrait donc que faciliter une mouvance des combattants djihadistes à adhérer à d’autres mouvements terroristes, comme Boko Haram dans le Sahel, organisation qui avait déjà prêté allégeance à ISIS en 2015, ou même à intégrer d’autres cellules de l’EI ailleurs comme au Yémen. Une autre option serait que les combattants continuent à se battre sur le terrain dans une guérilla féroce contre les forces anti-EI. Il faut rappeler que même sans structure étatique, les djihadistes disposent du soutien d’importants donateurs en Arabie Saoudite ou au Qatar. Cette situation de crise pourrait donc se révéler complexe, voir même sans issue…

Rédaction : Gabriel Delabays

 

Le 30 octobre 2017

[1] Selon les derniers chiffres disponibles de 2015.